17/11/2025
🔴 ACTION LACANIENNE #1
Paris, le 17 novembre 2025
ACTION LACANIENNE
Contre l'amendement qui ment et qui coûte
✨L’État : économe ou milicien ?
Deborah Gutermann-Jacquet
✨Plaidoyer pour un accès à l’offre de soin qui respecte la variété des pratiques
Cécile Wojnarowski
✨Un amendement aux allures de cheval de Troie
Romain Aubé
L’État : économe ou milicien ?
✨ Deborah Gutermann-Jacquet ✨
L’amendement rédigé le 14 novembre 2025 par quatre sénatrices et sénateur dans le cadre du projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2026 choisit, pour réaliser des économies dans un contexte où l’on en appelle à la « solidarité nationale », de supprimer purement et simplement la psychanalyse de l’espace public. Elle serait donc l’ennemi à abattre, au nom du budget mais aussi de la science. L’argument économique semblant trop faible, il s’en serait donc adjoint un autre du côté de l’expertise ? À en croire pourtant la récurrence des attaques que la psychanalyse subit, il semblerait plutôt que l’argument économique ne soit que le nouvel habit d’une guerre idéologique qui, depuis Le Livre noir de la psychanalyse, ne cesse de ressurgir, sous des formes différentes, mais avec un objectif inchangé : celui d’interdire la psychanalyse en la diffamant.
L’objet de l’amendement est simple : « à compter du 1er janvier 2026, les soins, les actes et prestations se réclamant de la psychanalyse ou reposant sur des fondements théoriques psychanalytiques ne donnent plus lieu à remboursement, ni à participation financière de l’assurance maladie ». Ce qui signe d’une part l’arrêt de mort de toute pratique de la psychanalyse en institution (leur liste est aussi longue que variée, de l’hôpital au centre médico-psychologique (CMP) en passant par les centres d’accueil thérapeutique à temps partiel (CATTP)…), et viserait logiquement tout praticien en libéral qui se réclamerait directement ou indirectement de la psychanalyse. Mais cela suppose aussi que l’État, d’économe, se fasse milicien.
Que faire des feuilles de soin d’un psychiatre qui aurait publié des articles de psychanalyse ? Il faudrait, pour être conséquentialiste, en refuser le remboursement, le mettre au ban. L’État, pour « garantir la cohérence scientifique et l’efficience des dépenses de l’assurance maladie », entend donc censurer, réprimer, étiqueter. Est-ce là la science ?
On rit ainsi de voir écrit noir sur blanc que la « liberté de choix des patients » et « la liberté de pratiques des professionnels » est maintenue alors que les patients ne pourront plus rencontrer que l’offre monocolore (et non définie) de l’État au sein des institutions. Quid du professionnel qui s’oriente de la psychanalyse, celui dont les pratiques sont ici jugées « inadaptées » et « contre-productives » ? Est-il encore « libre » alors que, formé à la « santé mentale », il est entendu qu’il ne peut postuler dans aucune institution de soins ? Liberté veut désormais dire interdiction.
D’une main on brûle les livres de Freud et de Lacan, de l’autre, on proclame la raison, la science et la liberté. Il n’y a guère que dans les systèmes totalitaires que de tels écarts sont produits dans l’usage de la langue. On s’y tromperait en ne considérant l’arme que du point de vue économique. Elle n’est que la façade derrière laquelle peut s’exprimer une menace sur la démocratie elle-même. Car si la chasse aux sorcières commence demain dans les hôpitaux et se poursuivra après-demain dans les cabinets, elle devra ensuite se prolonger dans les universités où il faudra aussi débusquer l’ennemi. Si bien en chemin, où s’arrêtera-t-elle ? Ce n’est pas le budget de la Sécurité sociale qui est en question, mais un choix de société.
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Plaidoyer pour un accès à l’offre de soin qui
respecte la variété des pratiques
✨ Cécile Wojnarowski ✨
Toutes les études démontrent que la psychiatrie et les structures de soin psychique en France sont à bout de souffle. Face à une demande en croissance constante, les moyens manquent. En 2024, la Fédération hospitalière de France (FHF) affirmait déjà que « pour 40% des établissements publics, un quart des postes étaient vacants en psychiatrie. Ces problématiques se répercutent dans l’accès aux soins pour les patients. Selon [leur] baromètre, une personne sur deux souffrant de troubles psychiatriques rencontre des difficultés :
– 47% à cause des délais d’attente pour un RDV avec un psychiatre
– 39% parlant même d’une impossibilité à obtenir un RDV. [1] »
Ce manque de moyens est corrélatif d’un renforcement des mesures coercitives dans ces mêmes établissements et d’un recours à la médication parfois chaotique. Les états de lieux ne manquent pas et le nombre de rapports alarmants s’est multiplié ces dernières années. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) considère même qu’une personne sur quatre sera touchée par des troubles psychiques au cours de sa vie. La crise du COVID-19 est venue accélérer ce processus. Une politique courageuse sur le long terme est plus que jamais nécessaire.
Aujourd’hui, un amendement proposé par Mmes Guidez et Vermeillet, M. Canévet et Mme Jacquemet entend remédier à ce problème structurel en écartant du système du soin un pan entier de ses professionnels diplômés et qualifiés.
Pourtant, de nombreux centres de consultation et de traitement psychanalytique gratuits ont été créés sur le territoire et viennent en renfort de ces structures de prise en charge saturées. La pertinence de leur offre et la qualité de leur travail est régulièrement saluée par les partenaires institutionnels et les patients qui s’adressent dans ces lieux le savent.
La psychanalyse et les fondements théoriques psychanalytiques ont démontré leur efficacité, contrairement à ce que suggère ce projet d’amendement qui prend pour fondement des recommandations de la Haute Autorité de santé (HAS) dont nous connaissons les biais scientifiques et les conséquences idéologiques au profit de thèses neurodéveloppementales, réduisant l’être humain à son cerveau et sa prise en charge à une adaptation comportementale. Ces recommandations n’ont cependant pas force de loi et nous savons l’importance de maintenir une diversité des pratiques dans le champ libéral, aussi bien qu’institutionnel. Retirer cette offre de soin du champ des pratiques financées par l’État constituerait un grave préjudice pour les personnes en souffrance psychique en les privant de la possibilité d’avoir recours à ces thérapies par la parole, qui prennent en compte la souffrance des sujets et leur singularité inaliénable.
[1] Fédération hospitalière de France, « Communiqué de presse : Santé mentale et psychiatrie : des difficultés d’accès aux soins persistantes et un recours aux soins hospitaliers très préoccupant chez les plus jeunes », 26 mars 2025, disponible sur le site de la FHF.
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Un amendement aux allures de cheval de Troie
✨ Romain Aubé ✨
L’occasion était trop belle pour les détracteurs de la psychanalyse. L’opportunité d’une refonte du budget de la Sécurité sociale dans le contexte économique et politique actuel réitère les sempiternelles attaques contre la psychanalyse.
Un assassinat contre la démocratie
« Cet amendement ne remet pas en cause la liberté de choix des patients ni la liberté de pratique des professionnels. » Deux dénégations pour le prix d’une dans cet extrait de l’amendement. Cette forme dénégative laisse entendre combien les auteurs aperçoivent eux-mêmes l’attaque ouverte contre la démocratie qu’ils introduisent, attirant l’attention dessus. Car cet amendement met effectivement en cause le libre choix des patients, et même plus, il évacue la question du choix – l’idée avancée étant celle d’une uniformisation de l’offre de soin par exclusion de la psychanalyse. En somme, le patient n’a même plus son mot à dire – un comble, quand on sait les pouvoirs de la parole !
Et le professionnel ? Eh bien, il fera ce qu’on lui dit. En somme, il deviendra ce que Canguilhem dénonce dès 1958 (comme quoi la chose est ancienne) : un instrument pour remettre la cheville ouvrière dans la chaîne du travail – c’est donc une vision de l’être parlant rabattue sur l’outil [1].
En attaquant les lieux d’exercice, c’est aussi les lieux de formation qui sont visés : les formations orientées par la psychanalyse transmises à l’université ne pourront plus offrir aucun débouché à leurs étudiants et futurs psychologues. L’attaque est donc celle d’un cheval de Troie.
L’argument de l’efficacité
Quels sont les prétextes avancés par ces sénateurs ? « Cet amendement vise à garantir la cohérence scientifique et l’efficience des dépenses de l’assurance maladie. » Il est risible que cette sentence soit énoncée comme venant porter le propos alors que ses fondements sont d’argile. L’amendement repose sur l’argument d’autorité selon lequel les pratiques orientées par la psychanalyse ne seraient pas efficaces et dispendieuses. Rien pourtant n’étaie cela. Dire « Plusieurs rapports publics ont souligné l’absence de preuves d’efficacité et le caractère inadapté, voire contre-productif, de ces approches » n’est rien d’autre qu’un effet d’annonce pour séduire, convaincre sans avoir à avancer d’autres arguments… Car depuis le rapport de l’Inserm de 2004 qui ciblait frontalement la psychanalyse, les rapports publics ultérieurs n’ont plus osé commettre cet impair – les « preuves » à leur disposition criant le contraire. D’ailleurs, plusieurs études et ouvrages sont désormais parus, démontrant l’efficacité de l’approche psychanalytique et des approches psychodynamiques [2].
De la recommandation à l’imposition
L’amendement se légitime des recommandations de la Haute Autorité de santé (HAS), transformant celles-ci en obligations. Cela s’inscrit dans une veine autoritaire : le président de la HAS ayant d’ailleurs annoncé (le 8 octobre dernier) vouloir rendre opposables juridiquement les recommandations de bonnes pratiques professionnelles (les célèbres RBPP) – l’amendement n°159 prend cette interrogation à la lettre. Alors n’oublions pas ce rappel du lexique : recommandé signifie attirer l’attention, inviter à. C’est pourquoi les RBPP de la HAS ne peuvent en rien exclure d’autres méthodes dont l’efficacité a été reconnue, si ce n’est à faire de l’idéologie…
Les sénateurs-rédacteurs de cet amendement en sont-ils restés au fallacieux rapport de l’Inserm de 2004 ou ont-ils juste saisi l’occasion d’essayer d’assassiner la psychanalyse ? Hier comme aujourd’hui, ce sera un assassinat manqué [3].
[1] Cf. Canguilhem G., « Qu’est-ce que la psychologie ? », Cahiers pour l’analyse, n°2, mars-avril 1966, p. 75-91.
[2] Cf. notamment Rabeyron T., « L’évaluation et l’efficacité des psychothérapies psychanalytiques et de la psychanalyse », L’Évolution psychiatrique, vol. 86, n°3, septembre 2021, p. 455-488.
[3] Cf. Aflalo A., L’Assassinat manqué de la psychanalyse, Nantes, Cécile Défaut, 2009.
On nous informe de cette pétition 👉🏻
https://6rtcf.r.ah.d.sendibm5.com/mk/cl/f/sh/6rqJfgq8dIPRPzt5tcxyGQtffyV/OEYAaGxCzpXa