02/12/2025
Chapitre 9 : les fêtes du vide
“Le prince qui voulait « juste » être heureux”
Le chemin pour être pleinement soi
Chapitre 9 : Les fêtes du vide
Le prince avançait dans la vie comme quelqu’un qui voulait bien faire.
Toujours bien faire.
Toujours prouver qu’il méritait d’être là.
Le prince qui veut bien faire
Un jour, le roi fit venir son fils.
Il ne dit ni compliment, ni reproche.
Il posa simplement sur la table une petite bourse remplie d’or.
— « Chaque homme doit avoir un domaine.
Un toit. Un terrain.
C’est ce qui te gardera en sécurité. »
C’était dit avec raideur, mais l’intention, elle, était ancienne :
la peur du manque, la peur de l’instabilité,
la peur que son fils ne sache pas se tenir debout seul dans la vie.
Le prince, lui, entendit surtout :
Voici comment être un homme.
Montre-moi que tu es capable.
Alors il chercha.
Pendant des semaines.
Il visita des terres, des maisons, des domaines.
Il évaluait, mesurait, comparait.
Il voulait que ce soit bien choisi, bien pensé, bien fait.
Il voulait prouver au roi qu’il n’était plus l’enfant fragile de jadis.
Il voulait entendre, au moins une fois :
— « Je suis fier de toi. »
Quand il trouva enfin et prit possession de son domaine, il en eut le cœur vibrant.
Pas seulement parce que le lieu était beau.
Le prince ne s’y installa pas immédiatement.
Il marcha longuement entre les murs, observa les poutres, écouta les pierres respirer.
Il voulait que ce lieu soit plus qu’un abri :
il voulait qu’il soit utile, intelligent, agréable, un espace qui parle autant au corps qu’au cœur.
Il imagina des passages où la lumière glisserait doucement le matin,
des alcôves où l’on pourrait se reposer en paix,
des tables faites pour accueillir des conversations profondes,
des ateliers où les mains pourraient créer,
des jardins où l’âme pourrait se poser.
Alors il fit venir des artisans.
Des charpentiers, des tailleurs de pierre, des forgerons, des jardiniers.
Et, chose étonnante, ce fut lui qui proposa les idées les plus fines.
Il réfléchissait avec tant de précision,
tant de sens de l’équilibre et de l’harmonie,
que même les maîtres-artisans s’arrêtaient pour l’écouter.
« Vous pensez vraiment qu’une ouverture ici ferait circuler la chaleur ? »
« Oui… et elle permettra aussi aux invités de se voir sans se déranger. »
« Et ce banc, taillé dans un seul tronc… vous avez raison, il rendra ce coin vivant. »
« Et si nous faisions de cette pièce un lieu où chacun puisse respirer ? »
Il dessinait, expliquait, ajustait.
Les artisans, d’abord surpris, finirent par sourire :
un prince qui savait penser comme un bâtisseur,
qui voyait le sens derrière chaque forme,
qui comprenait la beauté derrière chaque usage…
c’était rare.
À la fin des travaux, certains disaient même :
— « Nous avons autant appris de lui qu’il a appris de nous. »
Et le domaine, une fois achevé, portait cette empreinte unique :
celle d’un homme qui voulait créer un lieu
où chacun se sentirait bien,
où rien ne serait laissé au hasard,
où même les pierres semblaient murmurer :
— « Ici, tu es en sécurité.
Ici, tu peux respirer. »
Le lien cassé
Quand tout fut terminé, il organisa alors une fête familiale pour célébrer ce nouveau foyer.
Il prépara cette journée avec un soin infini, presque religieux.
Chacun serait accueilli dignement, sans moquerie, sans tension, sans compétition.
Il veilla à la qualité de la nourriture, à la douceur des boissons, au confort des sièges.
Il voulait que tout soit équilibré, élégant, apaisant.
Comme si, en disposant les objets parfaitement, il pouvait enfin réparer quelque chose dans son cœur.
Ce soir-là, tout le monde fut accueilli avec chaleur.
Le prince parlait calmement, souriait, veillait aux besoins de chacun.
Il se montrait ouvert, mature, posé.
Comme un message silencieux adressé à son père :
— « Regarde. Je suis quelqu’un d’équilibré.
Je fais attention.
Je suis un homme dont tu pourrais être fier. »
Au moment du dessert, il se leva.
La lumière des chandelles tremblait sur son verre.
Il prit un souffle, osa regarder le roi dans les yeux, puis dit :
— « Père… merci.
Merci pour tout ce que tu as fait,
pour ton travail,
pour ta protection,
pour ton or,
Pour ce domaine que j’ai pu créé,
Je t’honore. »
La reine sourit, comme pour soutenir ce fils courageux et touchée par la délicatesse de son fils.
Mais le roi… resta de pierre.
Son visage demeura fermé.
Ses yeux se détournèrent.
Pas un mot.
Pas un signe.
Comme si ces remerciements n’avaient pas atteint son cœur.
Comme si la gratitude du prince glissait sur une armure invisible.
Dans ce silence lourd, un fil se rompit en dedans du prince.
Ce soir-là, une brèche s’ouvrit.
Le prince comprit que, quoi qu’il fasse, l’approbation tant espérée n’arriverait peut-être jamais.
Lorsque la fête prit fin, il resta seul dans son nouveau foyer,
et la pièce, pourtant pleine de chaleur quelques heures plus tôt,
lui parut soudain immense et glacée.
Alors, pour ne pas sentir ce vide,
il organisa une fête pour le remplir de chaleur, de joie et de lien.
Les fêtes pour ne pas sentir
Il organisa une première fête.
Il voulait que tout le monde se sente accueilli, valorisé, curieux l’un de l’autre.
Il choisissait les invités avec soin, en veillant à créer un équilibre :
des personnalités douces, des artistes, des travailleurs, des rêveurs, des sages, des jeunes, des anciens.
Toujours l’harmonie.
Toujours la paix.
Toujours la beauté.
Puis il y eut plus de monde.
Et encore plus.
On disait partout dans le royaume :
— « Le prince sait recevoir comme personne ! »
Et cette phrase, cette minuscule étincelle d’admiration,
touchait en lui un endroit que son père n’avait jamais su atteindre.
Alors les fêtes devinrent plus grandes.
Plus raffinées.
Plus éclatantes.
Il passait des semaines à préparer chaque banquet :
un nouveau concept, un nouveau menu, un nouveau vin, un nouveau spectacle.
Chaque couleur, chaque lumière, chaque assiette était choisie avec une précision f***e.
Il voulait que tous se sentent vus, honorés, importants.
Il voulait renverser dans la vie des autres ce qu’il n’avait pas reçu dans la sienne.
Les soirées étaient magnifiques, brillantes, chaleureuses.
On riait, on chantait, on parlait jusqu’au milieu de la nuit.
Mais à force de vouloir que chacun vive un moment extraordinaire,
il ne vivait plus rien lui-même.
Entre les cuisines et la salle de bals,
Il courait partout, souriait, servait, animait.
Il vérifiait que tout le monde était bien.
Il s’assurait que personne ne manque de rien.
Il veillait à ce que les interactions soient fluides, les conversations belles,
les émotions équilibrées.
Il faisait « trop ».
Beaucoup trop.
Et plus il faisait,
moins il voyait les autres.
Car il ne s’arrêtait jamais assez longtemps pour regarder quelqu’un dans les yeux.
Il faisait tellement, pour tellement de monde,
qu’il n’avait le temps d’être en lien avec personne.
Il voulait que tout soit parfait, pour que personne ne perçoive le vide qu’il portait à l’intérieur.
Car en vérité…
ces fêtes étaient des fêtes du vide.
Ce n’était pas le plaisir qui animait le prince,
mais la peur de ressentir ce qui manquait.
La peur de se retrouver seul, sans reconnaissance, sans amour clair, sans regard qui dit :
— « Je te vois. Tel que tu es. Pas pour ce que tu fais. »
Et lorsque la dernière coupe était reposée sur la table,
et que les invités repartaient, repus et heureux,
Le silence tombait.
Alors le prince, seul dans sa grande salle vide, restait debout un long moment.
Il regardait les coupes abandonnées, les nappes froissées, les chandelles qui s’éteignaient.
Son reflet dans un verre vide le regardait tristement.
— « Si je rends tout le monde heureux… peut-être que moi aussi, je finirai par l’être. »
Mais ce n’était pas vrai.
Il était entouré, mais jamais relié.
Il donnait tout… mais personne ne le touchait vraiment.
Il s’oubliait à force de vouloir exister dans les yeux des autres.
Les fêtes devinrent sa manière d’offrir de la lumière,
tout en demeurant dans l’ombre.
Et plus les fêtes brillaient,
plus le prince, lui, se vidait.
Et dans ce silence…
il ne sentait rien.
Ou plutôt :
il sentait le rien.
Alors, pour remplir ce rien,
Dès le lendemain, il décidait aussitôt :
— « Je vais organiser une nouvelle fête.
Plus belle.
Plus grande.
Plus étonnante.
Alors, peut-être, je me sentirai vivant. »
La spirale
Mais aucune fête ne guérissait la plaie.
Aucune ne comblait ce qu’il cherchait.
Aucune ne lui apportait ce regard qui lui avait tant manqué lors du dessert avec son père.
Alors il recommençait.
Encore.
Et encore.
Et encore.
Chaque fête attirait plus de monde.
Plus de rires.
Plus de musique.
Plus d’éclats.
Et plus il donnait,
plus il se vidait.
Personne ne le voyait vraiment.
Ils voyaient l’hôte,
le prince généreux,
l’organisateur extraordinaire.
Mais pas l’homme qui courait pour ne pas tomber.
Pas l’enfant, encore là sous l’armure,
qui murmurait :
— « S’il vous plaît… voyez-moi. »
Et plus les fêtes brillaient,
plus le prince, lui, s’éteignait.
Car il avait appris à donner sans se donner,
à accueillir sans se laisser approcher,
à entourer sans jamais se relier.
Le prince faisait des fêtes…
mais c’étaient des fêtes du vide, de son vide.
Et au milieu de tous ces miroirs,
de ces éclats,
de ces lumières…
il ne voyait toujours pas son propre bonheur.
🧠 Point scientifique : Le faux-self social et l’évitement émotionnel
Ce chapitre illustre un phénomène bien documenté en psychologie du développement :
l’évitement émotionnel par la suractivité sociale.
🔹 1. Le faux-self relationnel (Winnicott, 1965)
Quand un enfant n’est pas vu pour ce qu’il ressent mais pour ce qu’il fait,
il apprend à orienter son énergie vers le monde extérieur, pas vers son monde intérieur.
Il devient celui qui :
accueille,
organise,
rend service,
harmonise,
brille pour les autres.
Ce n’est pas un mensonge.
C’est une stratégie de survie : « Si je fais plaisir, je ne serai pas rejeté. »
Mais ce comportement, répété à l’âge adulte, crée ce que Winnicott appelle le faux-self social : un personnage charmant, généreux, utile… qui masque un moi profond affamé.
🔹 2. L’évitement émotionnel (Hayes, ACT – 1999)
Les fêtes du prince illustrent un principe central de l’ACT : toute fuite émotionnelle amplifie la souffrance qu’elle tente d’éviter.
Plus il organise, plus il s’occupe,
moins il ressent.
Et moins il ressent,
plus il a besoin d’organiser.
C’est un cercle de renforcement négatif :
il soulage temporairement son vide
mais le renforce à long terme.
🔹 3. Le « surinvestissement réparateur » (Cyrulnik, 2019)
Lorsque l’amour parental a été perçu comme froid, distant ou conditionnel,
l’enfant devenu adulte développe souvent une stratégie : donner beaucoup pour recevoir un peu.
Le prince ne fête pas :
il répare.
Il tente d’offrir aux autres ce que son père ne lui a jamais donné : le regard, la douceur, la chaleur.
Mais tant que l’amour parental n'a pas été intégré, aucune fête extérieure ne remplace la fête intérieure du sentiment d'exister.
✨ Exercice introspectif : Les trois chaises du dialogue intérieur
Installe trois chaises devant toi.
Assieds-toi sur chacune, une à une, et lis les instructions.
🪑 1. La chaise de “l’adulte adapté”
Pose la main sur ton ventre.
Demande-toi :
Quand j’organise, que suis-je en train d’éviter ?
Quelle émotion j’empêche de remonter ?
Quelle peur m’agite lorsque le calme arrive ?
Note la première réponse, même imparfaite.
🪑 2. La chaise de “l’enfant non écouté”
Assieds-toi sur la deuxième chaise.
Imagine-toi enfant, le soir du « lien cassé ».
Demande-lui doucement :
Qu’as-tu ressenti quand le roi n’a pas répondu ?
Qu’est-ce qui t’a le plus blessé dans son silence ?
Qu’aurais-tu eu besoin d’entendre à ce moment-là ?
Écris la phrase qu’il aurait voulu recevoir.
Elle est importante.
Elle répare.
🪑 3. La chaise de “l’adulte mature”
Assieds-toi sur la troisième chaise.
Respire profondément.
Demande-toi :
Si j’arrêtais d’organiser des fêtes, qui serais-je ?
Quel lien j’aimerais vivre réellement ?
Quelle relation me toucherait, même si elle était imparfaite ?
Ce que tu ressens ici… c’est ton vrai soi.
🎯 Mission de la semaine : Une soirée sans armure
Une fois cette semaine,
organise un moment simple, sans performance, sans beauté, sans harmonie parfaite.
Un moment à deux ou trois personnes maximum, où :
tu ne prépares pas trop,
tu ne contrôles pas l’ambiance,
tu ne t’assures pas que tout le monde va bien,
tu ne joues pas l’hôte.
L’objectif n’est pas de réussir ce moment.
L’objectif est de voir ce qui se passe en toi quand tu n’es plus “celui qui fait pour être vu”.
Note dans un carnet :
ton malaise,
tes tensions,
tes élans,
tes peurs,
et surtout :
la petite étincelle de vérité qui apparaît quand tu ne joues plus de rôle.
C’est elle qui libère.
🌙 Conclusion poétique
Il voulait offrir de la chaleur,
mais c’était lui qui avait froid.
Il voulait accueillir le monde,
mais personne ne voyait son cœur.
Il donnait de la lumière,
mais vivait dans l’ombre.
Le prince organisait des fêtes pour remplir le vide,
mais à chaque fête,
le vide grandissait.
Car on peut inviter mille personnes,
et pourtant…
se sentir terriblement seul.
Les liens :
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Si vous voulez me faire des retours, merci par avance pour votre regard bienveillant et vos mots constructifs dans les commentaires sur ce document : https://docs.google.com/document/d/11NQAlwM-BvKJBgm_04KE3YJemu0p_royt0s-S1PVE2w/edit?usp=sharing&fbclid=IwY2xjawL39zRleHRuA2FlbQIxMABicmlkETB0REZIelZTVTBSbTVzNWllAR7K9OzGHZjzdvzgU-hu0hDm1O791sFUXfR5nvmPge4l1La1e7AICu0LCfCn1Q_aem_GbLtiX7160DMl9y_DRJu1g
A venir …
Chapitre 10 : le chevalier sauveur