18/11/2025
Le CEPPA se déclare parfaitement solidaire avec l'initiative, ci-dessous développée, de l'ECF
La newsletter de l'ECF
Contre l'amendement 159, l'École de la Cause freudienne se mobilise !
Vous trouverez ci-joints trois textes pertinents et percutants qui, poussant l'amendement dans ses retranchements, en montre les incontestables écueils et démontre la volonté d'exclure la psychanalyse.
De plus, l'École de la Cause freudienne vous donne rendez-vous le jeudi 20 novembre à partir de 20h, à un forum en accès libre sur Lacan web TV, contre cet amendement liberticide.
L'affiche de cet événement se trouve à la suite des textes.
Paris, le 18 novembre 2025
ACTION LACANIENNE
Contre l'amendement qui ment et qui coûte
Trois imprécisions
Alice Delarue
Une dérive liberticide
Patricia Bosquin-Caroz
Lettre ouverte
Angèle Terrier
Trois imprécisions
Alice Delarue
Trois passages de l’amendement n°159 du PLFSS 2026 ont particulièrement attiré mon attention. Leur imprécision n’est pas anodine : elle sous-tend un mouvement d’extension progressive de la volonté d’interdiction visant la psychanalyse.
"Se réclamant", "fondements"
Le premier se situe dans la phrase où sont visés « les soins, actes et prestations se réclamant de la psychanalyse ou reposant sur des fondements théoriques psychanalytiques ». Ces notions indéterminées laissent imaginer le défi que représentera, dans un futur décret, la définition du périmètre des « fondements théoriques psychanalytiques ». Un flou de cette ampleur n’est jamais neutre : il ouvre à ce que les juristes appellent une « pente glissante normative », qui rend possible, à terme, l’élargissement de l’interdiction à des pratiques ou à des professionnels qui n’étaient pas explicitement visés à l’origine.
En particulier, notamment
L’amendement oppose d’un côté « Les soins fondés sur la psychanalyse, en particulier lorsqu’ils s’appliquent aux troubles du neuro-développement, aux troubles anxieux ou dépressifs et aux affections psychiatriques chroniques », et de l’autre « notamment les approches comportementales, éducatives et de réhabilitation psychosociale ».
En particulier et notamment suggèrent une liste non exhaustive ; ce sont des termes non-limitatifs, indéterminés, qui induisent l’idée que d’autres champs cliniques – pas encore nommés – seraient également concernés par l’inefficacité ou l’efficacité alléguées. Ce flou rhétorique permet de masquer un problème logique : si l’argument « scientifique » était réellement spécifique à certains champs, l’interdiction générale du remboursement devrait, logiquement, s’appuyer sur des bases plus étendues – ce que les rédacteurs du projet ne sont pas en mesure de soutenir. Mais, en laissant entendre que la liste pourrait s’étendre, le texte fait planer une menace sur l’ensemble des professionnels dont les pratiques s’inscrivent dans toute approche psychodynamique.
Quels que soient, etc.
Enfin, le législateur indique que cet amendement « se borne à mettre fin au financement public de la pratique, quels que soient les dispositifs de financement : Mon Soutien Psy, centres médico-psychologiques, etc. »
Là encore, la confusion règne, car les dispositifs cités ne reposent pas sur les mêmes modes de financement. Mon Soutien Psy est un dispositif financé au forfait, les centre médico-psychologiques (CMP) le sont par dotation globale et non à l’acte. Dans un CMP, comment distinguer, sur le plan comptable ou administratif, une consultation d’approche psychanalytique d’une consultation d’un autre type ? Et comment supprimer un remboursement là où il n’existe pas ?
L’énumération se clôt sur un etc. qui ouvre la porte à l’inclusion ultérieure d’autres dispositifs non identifiés – hôpitaux de jour, associations financées par les Agences régionales de santé (ARS), bureaux d’aide psychologique universitaires (BAPU), et potentiellement bien d’autres. Encore une fois, cet etc. n’est pas un détail : il crée une imprécision juridique dans laquelle peut s’engouffrer une interprétation expansive.
Outre sa volonté de mettre fin au financement public des pratiques orientées par la psychanalyse, l’imprécision juridique de cet amendement crée donc un danger supplémentaire : celui de permettre, au gré des interprétations administratives ou politiques, et en dehors de tout débat démocratique, l’extension silencieuse des champs d’interdiction de la psychanalyse.
Une dérive liberticide
Patricia Bosquin-Caroz
L’amendement récemment déposé, qui vise à exclure toute orientation psychanalytique du financement public, s’inspire des recommandations de la Haute Autorité de santé (HAS) et reprend intégralement l’argumentaire de l’Evidence Based Medicine, centrée sur des « preuves » dites scientifiques. Cet argumentaire appelle plusieurs remarques.
Une vision administrative déconnectée du terrain
Les élus à l’origine de ce type de mesure n’ont, le plus souvent, aucune expérience de terrain ni aucun parcours en santé mentale. Ils s’appuient sur des notes de rapporteurs construites à partir de rapports administratifs éloignés des pratiques réelles, et rédigées sans la moindre concertation avec les acteurs du soin : médecins, psychiatres, psychologues…
Ces rapports ignorent systématiquement l’expérience clinique et se fondent exclusivement sur des évaluations quantitatives.
Or l’approche psychanalytique échappe par nature à ces modes d’évaluation standardisés ; c’est la raison pour laquelle certains cherchent régulièrement à l’exclure des approches dites « recommandées ».
Depuis deux décennies, le champ de la santé mentale a affaire à la prégnance d’une logique managériale qui impose des normes d’efficacité quantitatives au détriment du bien-être réel des patients.
Une dérive autoritaire qui réduit la diversité des approches thérapeutiques
L’amendement bannit de manière infondée l’approche psychanalytique et, avec elle, la diversité thérapeutique pourtant garantie par le Code de la santé publique.
Celui-ci protège notamment :
– le libre choix du patient
– l’obligation d’adapter le soin à chaque personne
– l’égalité d’accès aux soins
Les élus savent parfaitement que les thérapies cognitivo-comportementales (TCC) sont des thérapies brèves et qu’elles ne couvrent pas l’ensemble des pathologies psychiques.
Certaines affections nécessitent des prises en charge longues, complexes, évolutives, incompatibles avec un modèle unique et protocolisé.
Supprimer toute présence institutionnelle de l’orientation psychanalytique reviendrait à renvoyer vers le privé – sans remboursement possible – des patients ayant besoin d’un suivi au long cours.
Dans ce cas, les plus démunis seraient tout simplement exclus des soins.
Loin de réduire les coûts, cet amendement conduirait à un appauvrissement considérable de l’offre et, à terme, à une augmentation des dépenses publiques:
– ruptures de suivi,
– recours aux urgences,
– réorientation systématique vers des parcours plus coûteux.
Une atteinte directe à la liberté et un risque de politisation de la santé mentale
La France a construit sa politique de santé mentale sur un principe fondateur : aucun modèle unique ne doit s’imposer d’en haut.
C’est un principe de prudence, mais aussi un principe démocratique essentiel.
Voter cet amendement reviendrait à avancer vers un modèle unique, comme on le voit dans certains pays (notamment le Royaume-Uni), où une standardisation excessive a appauvri l’offre de soins.
Cet amendement rompt un équilibre précieux et rallume un conflit idéologique qui s’était apaisé ces dernières années, permettant que coexistent, dans les établissements de soin, différentes orientations : psychanalytique, psychodynamique, systémique, cognitivo-comportementale....
C’est ce pluralisme qui garantit la liberté de choix des patients et la qualité réelle du soin.
Un pas est franchi : interdiction !
Restreindre cette diversité, c’est fragiliser la démocratie sanitaire elle-même. Avec cet amendement, un pas supplémentaire – et inédit – est franchi : on passe d’une absence de recommandation à une véritable interdiction.
Conclusion
Cet amendement ne produirait ni économies ni amélioration de la qualité des soins.
Il introduirait au contraire :
– une réduction dangereuse de l’offre thérapeutique,
– une rupture du principe d’égalité,
– une politisation inédite de la santé mentale,
– et un appauvrissement des soins au détriment des patients.
Pour toutes ces raisons, il est essentiel que les élus mesurent la portée de ce texte et renoncent à une mesure qui affaiblirait durablement notre système de santé mentale.
Lettre ouverte
Angèle Terrier
Aux députés et sénateurs,
Contrairement à la mention qui y figure, l’article additionnel au projet de loi de financement de la Sécurité sociale, visant à exclure les soins et actes se référant à la psychanalyse de toute participation financière de l’assurance maladie, est bel et bien une atteinte grave à la liberté de choix des patients, ainsi qu’à la liberté des pratiques des professionnels.
La psychanalyse transforme la vie de beaucoup de personnes : des personnalités publiques en témoignent ; pour preuve aussi les nombreuses demandes qui affluent dans les cabinets d’analyste ou auprès de psychologues orientés par la psychanalyse. En institution, elle reste pour beaucoup de professionnels une boussole incomparable pour s’orienter face à la souffrance psychique qu’on ne peut traiter comme une maladie somatique.
Vouloir faire disparaître la psychanalyse des pratiques de soin est une atteinte à la démocratie sans précédent. À l’heure où la souffrance psychique de la population s’accroît, dans un contexte de fragilisation du tissu social et où chacun est renvoyé à une plus grande solitude, souhaitez-vous creuser tant et plus la situation catastrophique de la santé mentale en privant encore davantage de personnes de pouvoir bénéficier des soins qu’ils souhaitent et nécessitent ?
Quand un patient, ou des parents pour leur enfant, s’adressent à une institution hospitalière ou du secteur médico-social après des années d’attente et au détour d’un parcours administratif très complexe, ils font, dans la majorité des cas, confiance aux dispositifs de soin présents sur le territoire. Du côté des familles, le bouche à oreille entre parents fonctionne particulièrement bien, basé sur le partage d’expérience. Des associations de parents témoignent combien la rencontre avec des praticiens d’orientation analytique a été pour eux capitale. Souhaitez-vous donc priver toute une partie de la population de cette offre ?
Le code de déontologie des psychologues leur permet de choisir leurs outils de travail. Les psychiatres sont également libres de mettre en œuvre des méthodes de soin adaptées. Par ailleurs, les recommandations de bonnes pratiques (RBPP) n’ont pas valeur de loi. Ce sont de simples préconisations, sérieusement mises en cause par des études universitaires solides. François Gonon, directeur de recherche au CNRS, dénonce dans un livre récent l’imposture des neurosciences : il n’est pas possible de prouver que les sciences du cerveau soient à même d’expliquer les troubles mentaux, ni les difficultés scolaires [1].
Les patients aujourd’hui diagnostiqués TND (trouble neuro-développemental) sont ceux dont nous nous occupons depuis toujours. Cette simple étiquette, au service d’une logique économique, n’est pas robuste face à la finesse d’approche que nécessite la complexité de la souffrance psychique.
En libéral, les patients peuvent choisir librement le professionnel qu’ils souhaitent consulter. Par ailleurs, les psychanalystes n’exercent pas dans le cadre de l’assurance maladie. Cependant, la grande majorité d’entre eux sont également psychologues ou psychiatres. Étant donné la saturation des dispositifs sanitaires et médico-sociaux, liée au manque grandissant de moyens, de plus en plus de prises en charge s’exercent en libéral, alors qu’elles relèveraient pleinement d’une institution. Là aussi, souhaitez-vous faire sauter cette soupape, si précaire soit-elle ?
[1] Cf. Gonon F., Neurosciences : un discours néolibéral ? Psychiatrie, éducation, inégalités, Nîmes, Champ social, 2024, disponible sur cairn.
Lien vers la pétition contre l'amendement :
Non à l'amendement 159, oui à la pluralité des approches !