17/12/2023
« Accepter la déception permet d’ajuster ses attentes »
La déception, passage obligé de nos vies idéalisées, naît de l’erreur d’appréciation.
Aux « Alors, heureux ? », les « Alors, déçu ? ». Oui, déçu de l’issue d’un match de l’Euro 2016 qui anéantit l’espoir de voir son équipe couronnée ; déçu par l’échec à un examen scolaire qui compromet la perspective d’un cursus huilé ; déçu par cet entretien d’embauche qui n’a pas débouché sur l’emploi rêvé ; mais aussi déçu par une relation amicale, filiale ou amoureuse… Les occasions d’être déçu ne manquent pas dans nos quotidiens agités.
« La déception indique non seulement que je suis insatisfait, mais encore qu’il y a un écart entre les attentes que j’avais et ce qui s’est réellement passé », considère sur son site la psychologue Michelle Larivey, auteure de La Puissance des émotions (Ed. de l’homme, 2002). En effet, « dans la déception - une émotion qui s’inscrit dans le grand registre de la tristesse et donc en lien avec des situations de perte - il revient d’encaisser une perte par rapport à un idéal donné », convient Yves-Alexandre Thalmann. Comment ajuster au mieux nos « erreurs d’appréciation » et nous prémunir de la déception, si tant est qu’il faille s’en garder ?
Faut-il (et peut-on) éviter la déception ?
Tout un chacun s’attend à des choses qui ne viendront finalement pas. En psychologie positive, on considère notamment que certaines attitudes empêchent ou freinent la progression vers le chemin de la satisfaction. Ainsi, plus je mets la barre de mon idéal haute, plus je m’expose à la déception. On a tendance, à tort, à considérer que les émotions désagréables sont négatives. Pourtant, la peur n’est peut-être pas agréable à vivre mais elle me donne une indication indispensable à ma survie. Accepter ce cadeau qu’est la déception permet d’ajuster ses attentes.
Il convient de fixer la barre un tout petit peu plus haut que notre objectif, pour viser le meilleur mais pas l’impossible. Ainsi, la phrase qui dit en substance « Vise la lune, si tu la rates, tu seras au moins dans les étoiles » [Oscar Wilde] est contre-productive. La réalité, c’est qu’à force de rater la lune, on n’a même plus envie de regarder les étoiles car « Qui monte plus haut qu’il ne fallait, tombe plus bas qu’il ne pensait », dit le dicton. La déception naît de l’erreur d’appréciation. En visant un objectif réalisable ou réaliste, si déception il y a, elle agit comme un moteur et est favorable à ma progression.
Toute déception est-elle positive ?
Comme la colère, la déception peut être constructive ou destructive. Si on a la chance d’avoir des parents qui nous ont éduqué à la déception, on peut commencer par les remercier. C’est le socle incontournable de toute éducation : apprendre à ses enfants à gérer et tolérer la frustration, l’ennui et la déception. A l’échelle d’une vie, il y en aura des déceptions… on ne peut y échapper. Et, chacune est une occasion d’ajuster ce qui sépare nos désirs de la réalité. C’est en somme un travail de deuil : plutôt que de fuir, je regarde les choses en face, je prends le recul nécessaire et je tente de comprendre pourquoi je suis dans cette situation et comment l’éviter à l’avenir. Je prends ainsi la leçon de ce qui m’est arrivé.
Une alternative est de ne pas y faire face. On s’attribue dès lors l’entière responsabilité de la situation qu’on vit – notre discours mental, délétère, est de l’ordre du « Je suis nul », « Je n’y arriverai pas », « Personne ne m’aime ». La déception est dans ce cas démotivante et démoralisatrice. Est-il utile de souligner qu’il faut y mettre du sien pour être… malheureux ?
Il est essentiel d’accepter être déçu. Et même d’accepter de décevoir les autres, c’est-à-dire s’affirmer en sortant de l’idéal d’autrui. Du moment où je sais être déçu et le gérer, je n’ai aucune difficulté à envisager que l’autre puisse être déçu et sache à son tour gérer sa déception.
Comment dépasser une déception ?
On peut changer durablement, mais cela nécessite de le faire petit à petit… Apprendre à réajuster, c’est le travail de toute une vie. Le principe, on le connaît, mais le mettre en œuvre est une autre affaire. Se remettre d’une déception prend indéniablement du temps.
Aujourd’hui, on pense à tort que chagrin et tristesse enrayent notre avancement : autant la colère est mobilisatrice d’énergie – on va au front en quelque sorte –, autant la tristesse nous amène à nous retirer de la scène des événements pour digérer. Mais, dans notre société de l’immédiateté, il n’est pas de bon ton de se donner du temps. Et, en ne prenant pas le temps nécessaire pour « digérer » cette déception, je n’en tire pas de leçon et vais me retrouver dans une situation similaire sous peu.
En résumé, dépasser la déception, c’est la regarder en face, en tirer les leçons, se donner du temps pour l’intégrer positivement, l’idée n’étant pas de la contrer, mais de l’utiliser comme levier. La déception est une leçon de vie. Et cela passe par la réhabilitation de ses émotions. Elles ont un message à nous donner, pour peu qu’on les écoute.