01/04/2025
« Mon regard est net comme un tournesol.
J’ai l’habitude d’aller le long des routes
Tout en regardant à droite et à gauche,
Et de temps en temps derrière moi...
Or, ce que je vois à chaque instant
Est cela même qu’auparavant je n’avais jamais vu,
Et je sais fort bien m’en rendre compte...
Je sais obteir le saisissement essentiel
D’un nourrisson qui, à sa naissance,
Remarquerait qu’il est bel et bien né...
Je me sens nouveau-né à chaque instant
A l’éternelle nouveauté du monde.
Je crois au monde comme à une marguerite,
Parce que je le vois. Mais je ne pense pas à lui
Parce que penser, c’est ne pas comprendre...
Le monde ne s’est pas fait pour que nous pensions à lui
(Penser c’est être dérangé des yeux)
Mais pour que nous le regardions et en tombions d’accord...
Moi je n’ai pas de philosophie : j’ai des sens...
Si je parle de la Nature ce n’est pas que je sache ce qu’elle est,
Mais c’est que je l’aime, et je l’aime pour cela même,
Parce que lorsqu’on aime, on ne sait jamais ce qu’on aime
Pas plus que pourquoi on aime, ou ce que c’est qu’aimer...
Aimer c’est l’éternelle innocence,
Et la seule innocence, c’est ne pas penser. »
Extrait du poème « Le gardeur de troupeaux » de Fernando Pessoa - Alberto Caeiro
🌸 Tout ce qui nourrit l’être en profondeur nourrit l’intuition, et inversement. L’art, la littérature, la musique, la danse, le théâtre, la photographie, la poésie sont des moyens de se connecter à cette part sensible en soi qui vibre, qui résonne. Qui aime, sans savoir pourquoi. Qui aime et ne pense pas. Toute l’intuition passe par tous nos sens. Elle respire à travers notre peau, et nos mots ne servent qu’à ressentir sa présence avec plus de netteté.
Illustration : travail personnel photographique d’autoportrait aux fleurs par supersposition, support argentique polaroïd (appareil Instax), 2015