15/11/2025
Charoïte, la pierre qui rêve dans les montagnes violettes
On raconte qu’au nord du monde,
là où les nuits d’hiver s’étirent comme des loups silencieux,
il existait autrefois une montagne qui ne dormait jamais.
Elle s’appelait Murun,
et, à ce qu’on dit, elle rêvait.
Chaque nuit, lorsque la lune se levait au-dessus de la taïga,
les parois de la montagne se teintaient d’un violet étrange.
C’était comme si des songes anciens glissaient sous la pierre,
cherchant un chemin pour s’échapper.
Un enfant vivait non loin de là.
Un garçon aux yeux sombres,
toujours perdu dans ses pensées.
Il s’appelait Tseren.
Tseren avait une particularité :
il entendait, au cœur du silence,
ce que les adultes ne percevaient plus.
Il entendait les soupirs des rochers,
le frémissement des mousses,
et parfois même,
le murmure d’une peur qu’il n’arrivait pas à expliquer.
Une nuit, poussé par une agitation intérieure qu’il ne comprenait pas,
Tseren grimpa seul sur les flancs du Murun.
Il marcha longtemps, jusqu’à ce qu’un grondement sourd vienne
ouvrir une fissure dans la montagne.
Dans cette brèche,
quelque chose brillait.
Pas comme de l’or,
ni comme de la glace,
mais comme un rêve qui aurait pris forme.
Une pierre violette, profonde, parcourue de filaments blancs
qui ondulaient lentement,
comme si la pierre… respirait.
— Qui es-tu ? murmura l’enfant.
Et la pierre répondit. Pas avec des mots,
mais avec une chaleur douce qui se posa dans sa poitrine,
comme une main apaisante.
Elle lui montra des images :
des voyageurs fatigués déposant leurs peurs,
des bêtes blessées trouvant soudain le repos,
des pensées sombres se dissolvant comme de la neige.
Tseren comprit alors pourquoi la montagne ne dormait jamais :
elle portait les tourments des hommes.
Chaque angoisse, chaque regret, chaque idée noire
venait frapper les flancs du Murun
et s’y accrochait,
lourd comme de la pierre.
Mais cette pierre violette, elle,
avait la capacité de transformer ce poids.
De le délier.
De le rendre plus léger.
Tseren voulut la prendre,
mais au moment où sa main se posa dessus,
un frisson le traversa.
La pierre lui montra son propre cœur :
ses peurs, ses doutes,
sa crainte de ne jamais trouver sa place.
Et doucement, presque tendrement,
elle les dispersa dans l’air froid.
Lorsque l’enfant rouvrit les yeux,
la fissure se refermait déjà,
comme une bouche secrète.
Il redescendit la montagne
avec un calme qu’il n’avait jamais connu.
Les années passèrent.
Tseren devint un homme,
puis un vieux conteur.
Un jour, des géologues vinrent étudier la région.
Ils trouvèrent dans les profondeurs une pierre inconnue,
violette et torsadée,
comme les rêves d’une montagne.
Ils la nommèrent Charoïte,
sans imaginer qu’un enfant l’avait rencontrée bien avant eux.
Tseren, lui, disait simplement :
« Certaines pierres ne sont pas nées pour briller,
mais pour transformer ce qui pèse dans le cœur.
Elles ne guérissent pas :
elles rappellent qu’on peut se guérir soi-même. »
Et si, un soir, tu observes une charoïte de près,
tu verras peut-être un filament blanc bouger,
imperceptiblement.
Alors tu sauras :
la montagne continue de rêver en silence.
Et dans ses rêves,
elle apaise encore ce que les humains n’osent pas déposer.
_____MDC (15/11/25)