28/11/2025
« Il y a quelque chose d’immense dans cette affaire d’être parent….
On croit que c’est nous qui transmettons, qui organisons, qui sculptons, mais en réalité on ne fait qu’ouvrir un passage. On offre un sol, un climat, une présence, puis la vie circule à travers l’enfant comme l’eau dans un arbre, avec une logique qui ne nous appartient définitivement pas. On prépare l’humus et on reste dans cette posture un peu sacrée de l’observateur, celui qui regarde pousser sans pouvoir deviner la direction, celui qui ne force pas, qui ne plie pas, qui accompagne simplement la forme que la vie a choisie.
Un enfant n’est jamais seulement notre enfant. Il est la somme des adultes qu’il croise, la somme des environnements qu’il habite, la somme des atmosphères qu’il respire. Il porte en lui les gestes des autres, leurs limites, leurs beautés, leurs maladresses. Il porte parfois aussi les incapacités du monde autour de lui. Quand il pousse un peu de travers, ce n’est pas parce qu’il est fragile. C’est souvent parce qu’il reflète ce qui, en nous et autour de nous, n’a pas encore trouvé sa lumière. L’enfant est un miroir innocent qui rejoue nos zones floues sans jamais les juger. Et c’est peut être ce qui rend cette aventure si bouleversante.
Je n’étais pas le meilleur être humain pour devenir mère : un être bien trop égoïste, mal fagoté et beaucoup trop occupé à chercher la Vérité ailleurs. C’était sans savoir que devenir parent ouvre quelque chose qu’aucune autre expérience ne peut offrir. Une forme de conscience élargie qui t’arrache à ton nombril pour te montrer une immensité à laquelle tu n’avais pas accès. On découvre une patience qu’on ne soupçonnait pas, une manière d’aimer qui se plie et se déplie, une humilité qui vient des nuits perturbées par certaines inquiétudes parfois et des discussions qui changent toute la trajectoire d’un enfant.
Rien ne t’apprend autant sur la réalité du cœur que la présence silencieuse auprès d’un petit humain qui te regarde comme si tu avais une clé cachée quelque part. Et tu réalises que cette clé, tu es en train de la fabriquer en même temps que lui grandit.
Élever un enfant demande du temps et de la présence, beaucoup plus que ce que nos vies modernes voudraient admettre.
Le lien que nous construisons aujourd’hui avec ma fille conditionne l’adulte qu’elle sera dans 10, 20 ou 50 ans. Son bien être d’adulte dépend de la texture des moments qu’elle vit maintenant, de la sécurité qu’elle ressent à m’approcher même quand ses jours sont lourds, même quand elle trébuche, même quand moi je suis fatiguée. Le lien affectif et temporel que nous entretenons n’est pas un supplément, c’est l’ossature invisible de sa liberté future.
Les enfants sentent tout.
Ils sentent la clarté et le brouillard, la cohérence et la contradiction, la vérité et les zones qu’on maquille pour paraître solides. Ils savent ce qui sonne juste. Ils savent ce qui sonne faux. Et souvent les adultes parlent de mensonge ou d’authenticité à un enfant pour ne pas entendre ce qui résonne mal dans leur propre vie. On transmet toujours ce qu’on vit vraiment, jamais ce qu’on prétend incarner. Les enfants apprennent par la vibration, pas par le discours. Ils savent, vous savez!?
Nos enfants ne sont pas nos prolongements. Ils ne sont pas là pour nous rassurer ni pour réparer nos cicatrices anciennes. Ils ne nous appartiennent pas et c’est dans cette non appartenance que l’amour trouve sa pureté. On les accompagne, on veille, on protège, mais on accepte qu’ils aient leur propre destination. On ne les éduque pas pour qu’ils deviennent ce que nous n’avons pas su être. On les accompagne pour qu’ils puissent se reconnaître eux mêmes dans un monde qui ne cesse de les traverser.
L’enfant pousse comme il doit pousser. Et dans ce regard qui observe sans posséder, il y a quelque chose de sacré, quelque chose qui relie à plus grand que soi. Il y a là matière à cheminer vers le Divin… Une manière d’aimer qui donne au monde un être humain capable de se tenir debout dans sa vérité, même quand la nôtre a été bancale. Une manière d’aimer qui, sans bruit, prépare les générations suivantes à être un peu plus libres que nous. »
Sandra Mioli.