24/11/2025
Il y a un moment où tu comprends que tu ne vas jamais pouvoir empêcher les gens de se raconter des histoires sur toi. Ils le font parce qu’ils ne savent pas regarder autrement. Parce que ça les rassure de figer quelqu’un dans une scène ancienne, un écart, une faiblesse, un épisode où tu étais à bout. C’est plus simple pour eux de conserver une version réduite de toi plutôt que de t’accueillir dans ta complexité. Alors tu restes, un peu comme une photo mal cadrée, exposée au mur de leur mémoire.
Et pourtant toi, tu continues de changer sans cesse. Ton corps a vieilli, ton souffle est devenu plus profond, tes nuits plus longues, ton regard peut être plus tranchant. Tu n’as plus rien à voir avec la personne qu’ils tiennent encore dans leurs mains comme un polaroïd usé. Le problème, c’est qu’ils n’ont pas vu toutes les saisons que tu as traversées depuis. Ils n’ont pas senti la pluie que tu as dû laisser couler pour redevenir respirable. Ils ne savent rien de la manière dont tu t’es relevé, centimètre par centimètre, jusqu’à retrouver un visage entier.
Tu pourrais te défendre, te justifier, expliquer que ce n’était pas toi, que tu étais fatigué, que tu survivais comme tu pouvais. Tu pourrais leur dire que la version qu’ils gardent de toi est fausse, incomplète, injuste. Mais il y a une révélation qui arrive avec l’âge ou la chute : tu n’as plus à laver les lunettes des autres. Tu n’as plus à briller sous une lumière qui ne t’appartient pas.
Tu peux laisser les gens penser ce qu’ils veulent, et toi, exister. Tu peux respirer dans ton espace, marcher dans ton rythme, prendre le temps de former un être humain à l’intérieur de toi qui n’a plus besoin de preuves. Tu peux apprendre à t’en fo**re, vraiment, pas dans le déni ou la fuite, mais dans cette manière solide d’être au monde qui dit: je ne vis plus dans vos récits, j’habite le mien.
C’est une délivrance silencieuse. Tu continues d’aimer, d’être présent, de tendre la main si quelqu’un veut marcher avec toi. Tu ne joues pas au fantôme, tu ne claques aucune porte. Tu te contentes de sortir du cadre où on t’avait enfermé. Et ça change tout. Parce que tant que les gens parlent, tu n’es pas obligé de les écouter. Tant qu’ils pensent te réduire à une scène, tu deviens l’ensemble du film. Et ceux qui veulent vraiment te voir le verront.
Tu n’as rien à corriger, rien à camoufler, rien à rejouer. Tu avances, avec une sorte de grâce sauvage. Et ceux qui croient encore savoir qui tu es choisissent de continuer à regarder seulement un souvenir, pas une personne vivante.
Leur vision !
Leur (non) choix!
Deviens libre. Sans disparaître, sans t’expliquer. Pardonne en cessant simplement de porter la version de toi qui n’appartient qu’aux autres.
21.11.25
Sandra Mioli