20/11/2025
Autiste. Depuis toujours. Mais diagnostiquée à 24 ans.
Depuis l’enfance, j’ai vécu le monde autrement.
Pas selon les normes qu’on attend d’un enfant. Pas dans les cadres bien dessinés par la société.
Dès mes premiers pas dans le monde, je me suis sentie étrangère.
Pas les mêmes centres d’intérêt que les autres enfants.
Pas le même langage.
Pas les mêmes besoins.
Toujours à l’écart.
Toujours seule, même au milieu des autres.
J’ai grandi avec cette sensation constante d’être en décalage.
On m’a souvent dit que j’étais « dans la lune », mais la vérité, c’est que j’étais submergée par un monde trop fort, trop bruyant, trop rapide.
Ma pensée fonctionne en arborescence.
Une idée ne suit pas une autre, elle en crée mille.
Ma tête est un feu d’artifice permanent : des connexions, des sensations, des images, des mots, tous liés, tous vivants.
C’est une richesse, mais dans une société linéaire, c’est vu comme un obstacle.
Ma première année de maternelle a laissé une trace indélébile.
J’ai subi les violences verbales et psychologiques d’une institutrice.
J’étais maladroite, j’avais des difficultés de motricité.
Et pour elle, j’étais « la nulle », « la moins que rien ».
Un jour, pour la fête des pères, elle m’a arraché ma feuille des mains en disant que « c’était horrible ».
Elle a fait de moi une cible, jour après jour.
Et j’étais une enfant.
Rien ne peut justifier qu’un adulte détruise une enfant en pleine construction.
Mes parents regrettent de ne pas m’avoir changée d’école.
Mais moi, je crois que j’aurais retrouvé ce rejet ailleurs.
Parce que ce n’est pas un lieu qui m’a blessée.
C’est un système entier, incapable de voir l’invisible.
J’ai développé une phobie scolaire.
J’ai fini par décrocher.
À l’école, j’étais celle qu’on pointait du doigt :
« Regarde dans les yeux quand on te parle. »
« Tu ne veux jamais participer. »
« Fais un effort. »
Mais personne ne voyait les efforts immenses que je faisais juste pour tenir debout.
Avant d’aller à l’école, je faisais des crises autistiques. Des meltdowns.
Pas des caprices.
Des explosions nerveuses, pas des implosions.
Mon corps ne supportait plus les bruits, les lumières, les interactions, les attentes sociales.
Je faisais aussi des crises acoustiques : chaque son, même banal pour les autres, devenait une agression insoutenable.
Je criais, je pleurais, je frappais, parfois même contre moi.
C’était mon système nerveux à bout, mon cerveau en feu.
Mais tout cela restait invisible aux yeux de ceux qui ne voulaient pas comprendre.
J’étais un enfant en souffrance que personne n’écoutait.
Un corps en alerte dans une société sourde.
Et pourtant, malgré tout ça…
J’aimais la vie.
Et je continue de l’aimer.
Je suis émerveillée par des choses que d’autres ne remarquent même pas.
Un rayon de lumière sur une feuille.
Une goutte d’eau sur une vitre.
Le regard d’un chat, la fragilité d’une fleur.
Je ressens profondément. Intensément. Totalement.
Et non, je ne manque pas d’empathie.
J’en ai peut-être trop.
Je pleure pour ce que les autres appellent des « détails ».
Mais ces détails-là, pour moi, sont des mondes entiers.
À 24 ans, j’ai enfin reçu mon diagnostic d’autisme.
Et ce jour-là, j’ai compris que je n’étais pas « cassée ».
J’étais différente, et cette différence avait un nom.
Je n’étais plus seule dans mon silence.
Je n’étais plus « trop » ou « pas assez ».
J’étais moi, enfin reconnue.
Voilà ce que je suis aujourd’hui :
Une adulte lucide, sensible, debout.
Une personne qui a traversé l’incompréhension, la douleur, le rejet, mais qui n’a jamais cessé de chercher la lumière dans les choses les plus simples.
Et à cette institutrice, même si elle ne lira jamais ces mots, je veux dire ceci :
Vous n’avez pas su voir l’enfant que j’étais.
Mais aujourd’hui, je suis devenue une femme que vous ne pourrez plus jamais écraser.
Parce que ce que vous avez tenté de briser en moi, ma différence, ma flamme, ma sensibilité,
c’est exactement ce qui me rend forte aujourd’hui.
Merci à ton handicap invisible pour ce témoignage