21/10/2025
Le mal-être des jeunes : une lecture systémique d’un malaise contemporain.
Le mal-être ressenti par une partie croissante de la jeunesse ne peut être compris qu’en adoptant une lecture systémique, c’est-à-dire en analysant l’ensemble des interactions entre les sphères individuelles, familiales, sociales, économiques et culturelles. Il ne s’agit pas d’un phénomène isolé ni uniquement psychologique, mais bien le symptôme d’un déséquilibre plus large, d’un système en tension permanente.
1. La cellule familiale en mutation : entre désajustement et quête de repères
La famille, premier espace de socialisation, traverse elle aussi une crise profonde. L’accélération des rythmes de vie, la précarité économique, les séparations parentales et l’hyper-connectivité des foyers modifient en profondeur les dynamiques relationnelles. Les jeunes grandissent parfois dans des environnements instables ou émotionnellement distants, où les échanges profonds cèdent le pas à des interactions fragmentées.
Le rôle parental, souvent tiraillé entre l’autorité traditionnelle et le besoin d’être un "parent ami", se complexifie, créant des zones de flou quant aux limites et aux repères nécessaires à la construction de soi. En réaction, certains jeunes se replient, tandis que d'autres cherchent dans les sphères extérieures (pairs, réseaux sociaux) une forme de validation et d'appartenance qu'ils ne trouvent plus chez eux.
2. Les relations avec les pairs : entre entraide et pression sociale
L’adolescence est une période où le groupe de pairs devient central. C’est à travers lui que se joue l’affirmation de l’identité, l’exploration de soi, et la reconnaissance sociale. Pourtant, dans un contexte d’hyperconnexion, ces relations peuvent se charger d’attentes écrasantes : il faut être intégré, visible, apprécié, drôle, performant… L’intimité laisse place à une mise en scène de soi, et la peur de l’exclusion devient omniprésente.
Ce phénomène engendre une pression constante qui peut faire naître anxiété, isolement ou sentiment d’inadéquation. Le lien aux autres devient alors paradoxal : indispensable mais menaçant, moteur de construction mais aussi d’effondrement.
3. Une société de consommation et d’urgence : le culte de la performance
Notre société valorise la rapidité, l’efficacité, la productivité. Les jeunes y sont plongés dès l’école, sommés de réussir, d’être compétents, créatifs, autonomes, et surtout rentables. Le temps long de l’apprentissage, de l’échec formateur ou de l’introspection est souvent dévalorisé.
Le système éducatif, parfois plus tourné vers les résultats que vers le développement de l’être, peut renforcer un sentiment d’absurdité et de décrochage. Beaucoup de jeunes ressentent une dissonance entre leurs aspirations profondes (sens, lenteur, authenticité) et les injonctions sociales (vitesse, excellence, visibilité).
4. Le besoin de lenteur et le repli sur soi : stratégies de survie face à la saturation
Face à cette pression multiforme, certains jeunes adoptent des stratégies de repli. Ils cherchent à ralentir, se coupent du monde extérieur, parfois même de leurs proches. Ce repli n’est pas nécessairement pathologique ; il peut être une tentative de protection ou de rééquilibrage dans un monde trop rapide, trop bruyant.
Cependant, cette solitude choisie peut, si elle devient chronique, renforcer l’isolement et les troubles de l’humeur. Le besoin de lenteur, vital pour la maturation psychique, est trop rarement reconnu comme légitime dans une société qui valorise le "toujours plus" et le "tout, tout de suite".
5. Les réseaux sociaux : miroir déformant de soi et des autres
Les réseaux sociaux occupent une place centrale dans la vie des jeunes. Ils promettent connexion, appartenance, expression. Mais ils imposent aussi une logique de comparaison permanente et de valorisation du paraître. La vie y est souvent scénarisée, filtrée, idéalisée.
Dans ce théâtre numérique, beaucoup de jeunes vivent une forme de dissociation : entre ce qu’ils montrent et ce qu’ils sont vraiment. Cette mise en scène constante peut engendrer une perte d’authenticité, un mal-être profond lié au sentiment de ne jamais être "assez" — pas assez beau, pas assez populaire, pas assez performant. L’estime de soi devient tributaire des "likes", des vues, des commentaires, et la construction identitaire est alors perturbée par un miroir social trompeur.
Conclusion : Vers une écologie du lien et de l’être
Comprendre le mal-être des jeunes exige donc une approche systémique, qui ne culpabilise ni les individus ni les familles, mais interroge l’organisation globale de notre société. Il est urgent de créer des espaces de parole, de reconnexion et d’authenticité. D’offrir du temps, du silence, de la lenteur. De valoriser l’être plutôt que l’avoir ou le paraître.
Accompagner les jeunes aujourd’hui, c’est aussi questionner notre propre rapport au monde. Peut-être leur mal-être est-il un signal faible d’un déséquilibre collectif plus profond. Une invitation à repenser nos priorités, nos modes de vie, et à restaurer des liens plus humains dans un monde qui les fragilise.
C. Horge