08/08/2025
Probablement le mythe le plus connu…
Le mythe selon lequel les adultes autistes évitent complètement le contact visuel est largement répandu, mais les recherches scientifiques récentes révèlent une réalité bien plus nuancée. Cette croyance simpliste néglige la diversité des expériences autistiques et peut conduire à des malentendus dommageables.
❇️ Origine du mythe
En 1943, Kanner décrit dans son article pionnier sur l’autisme infantile des enfants qui manifestent une “solitude extrême” et évitent le contact visuel. Ces premières observations, bien que scientifiquement fondées, ont malheureusement donné naissance à des interprétations erronées.
Le mythe s’est considérablement renforcé avec l’émergence des théories psychanalytiques, notamment celles de Bruno Bettelheim. Dans son ouvrage « La forteresse vide », il suggère que « l’évitement du regard est la preuve que l’enfant se retire du monde par mécanisme de défense face à une mère (réfrigérateur/froide) incapable de créer un attachement émotionnel ». Ces théories psychanalytiques, bien qu’aujourd’hui complètement réfutées par la science, ont eu un impact durable et ont contribué à ancrer dans l’imaginaire collectif l'idée que l'évitement du regard était synonyme d’indifférence sociale ou de rejet relationnel.
Contrairement au stéréotype, tous les adultes autistes ne présentent pas les mêmes patterns de contact visuel. Les recherches démontrent une grande variabilité individuelle. Certaines personnes autistes peuvent établir un contact visuel, tandis que d’autres le trouvent effectivement difficile. Cette diversité remet en question l’idée d’un comportement uniforme chez toutes les personnes autistes.
Une étude qualitative menée auprès d’adultes autistes a révélé que beaucoup développent une conscience délibérée et auto-réflexive de leurs différences en matière de contact visuel (Garvey et al., 2024). Neuf adultes autistes interrogés ont décrit comment ils ont pris conscience de leurs différences par le biais de retours d’autres personnes, souvent avant leur diagnostic. Cette prise de conscience les a amenés à développer diverses stratégies pour s’adapter aux attentes sociales.
❇️ Évitement oculaire ou indifférence sociale ?
La recherche neuroscientifique moderne soutient principalement l’hypothèse d’évitement oculaire plutôt que celle de l’indifférence sociale (Stuart et al., 2022). Selon cette théorie, les personnes autistes évitent le contact visuel non pas par manque d’intérêt social, mais parce qu’il déclenche une hyperactivation de l’amygdale, créant une réponse de stress physiologique (Hadjikani et al;, 2018).
Des études d’imagerie cérébrale montrent que lorsque les personnes autistes sont contraintes de regarder dans les yeux, leur amygdale - le centre émotionnel du cerveau associé aux sentiments négatifs - s’active de manière anormalement intense. Cette hyperactivation peut faire percevoir même les visages les plus familiers comme une menace inconfortable.
Une recherche de 2022 utilisant une technologie d’imagerie innovante a identifié des différences spécifiques dans la région pariétale dorsale du cerveau chez les adultes autistes pendant le contact visuel en direct. Cette région, impliquée dans la cognition sociale, montrait une activité significativement réduite chez les participants autistes comparativement aux personnes neurotypiques.
❇️ Le masquage : une stratégie adaptative coûteuse
Beaucoup d’adultes autistes développent des comportements de masquage, notamment le fait de forcer le contact visuel pour répondre aux attentes sociales.
Ces stratégies incluent :
• Forcer ou simuler le contact visuel pendant les conversations
• Développer des scripts de réponses préparées
• Imiter les expressions faciales et les gestes
• Surveiller constamment leur comportement lors des interactions sociales
Cependant, le masquage a un coût psychologique considérable. Les recherches indiquent qu’il peut conduire à l’anxiété, la dépression, la perte d’identité, une détérioration de la santé mentale et des difficultés pour obtenir un diagnostic précis d’autisme. Le fait de maintenir un contact visuel sous pression peut être ressenti comme un fardeau, parfois décrit comme une sensation de brûlure ou même physiquement douloureux.
❇️ L’influence du contexte et de la familiarité
Les recherches révèlent que le contexte social influence significativement les patterns de contact visuel chez les personnes autistes. Dans des environnements prévisibles et familiers, les réponses neuronales tendent à être moins hyperactives, rendant le maintien du contact visuel plus confortable. À l’inverse, dans des situations imprévisibles ou perçues comme menaçantes, l’activité des régions cérébrales associées à la détection de menaces s’intensifie (Naples et al., 2022).
❇️ Implications pour la compréhension de l’autisme
Ces découvertes scientifiques remettent en question plusieurs idées reçues :
« Les personnes autistes ne peuvent pas établir de contact visuel ». Non, bien que beaucoup de personnes autistes aient des difficultés avec le contact visuel, certaines en sont capables. La capacité varie considérablement d’un individu à l’autre.
« Les personnes autistes ont besoin d’être encouragées à faire du contact visuel ». Forcer le contact visuel peut être contre-productif, car cela demande beaucoup de concentration et peut rendre l’écoute plus difficile. L’objectif devrait être une communication réussie, pas nécessairement le contact visuel.
« L’évitement du contact visuel indique un manque d’empathie ou d’intérêt social ». Non, les recherches montrent que l’évitement est souvent une stratégie adaptative pour gérer l’hyperactivation cérébrale, non un signe de désintérêt social.
❇️ Recommandations
1. Accepter la diversité des styles de communication et ne pas imposer le contact visuel comme norme universelle
2. Reconnaître que l’évitement du contact visuel peut être une stratégie protectrice plutôt qu’un déficit à corriger
3. Tenir compte du contexte et de la familiarité dans les interactions sociales avec les personnes autistes
4. Éviter de forcer le contact visuel, ce qui peut intensifier le stress et la surcharge sensorielle
5. Comprendre que l’authenticité dans la communication est plus importante que la conformité aux normes neurotypiques
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Garvey, A., Ryan, C., & Murphy, M. (2025). Deliberate and self-conscious adaptation of eye-contact by autistic adults. Journal of autism and developmental disorders, 55(7), 2272-2283.
Hadjikhani, N., Åsberg Johnels, J., Lassalle, A., Zürcher, N. R., Hippolyte, L., Gillberg, C., ... & Ben-Ari, Y. (2018). Bumetanide for autism: more eye contact, less amygdala activation. Scientific Reports, 8(1), 3602.
Stuart, N., Whitehouse, A., Palermo, R., Bothe, E., & Badcock, N. (2023). Eye gaze in autism spectrum disorder: A review of neural evidence for the eye avoidance hypothesis. Journal of Autism and Developmental Disorders, 53(5), 1884-1905.