14/10/2025
Combien de pas par jour faut-il vraiment faire ?
Depuis quelques annĂ©es, lâidĂ©e des â10 000 pas par jourâ sâest largement diffusĂ©e dans les recommandations de santĂ© publique, dans les mĂ©dias et sur les applications de suivi dâactivitĂ© physique. Ce chiffre, souvent prĂ©sentĂ© comme un seuil Ă atteindre pour rester en bonne santĂ©, repose pourtant sur peu de fondements scientifiques solides. Il trouve son origine dans une campagne marketing japonaise des annĂ©es 1960, mais nâa fait lâobjet dâaucune Ă©tude concrĂšte quant Ă sa validitĂ© en tant que seuil pour une meilleure santĂ© gĂ©nĂ©rale.
Dans un monde oĂč lâinactivitĂ© physique est lâun des premiers facteurs modifiables pour le risque de mortalitĂ© toutes causes confondues, toute stratĂ©gie simple, accessible et mesurable pour favoriser le mouvement au quotidien peut avoir un impact considĂ©rable sur la santĂ© publique. Parmi les indicateurs dâactivitĂ©, le nombre de pas quotidien prĂ©sente plusieurs avantages : il est facile Ă comprendre, Ă suivre, Ă quantifier et Ă communiquer. Mais combien de pas sont rĂ©ellement nĂ©cessaires pour obtenir un bĂ©nĂ©fice mesurable sur la santĂ© ? Existe-t-il un seuil minimum ? Un point au-delĂ duquel les bĂ©nĂ©fices se stabilisent ? Et ces bĂ©nĂ©fices concernent-ils uniquement la mortalitĂ©, ou sâĂ©tendent-ils Ă dâautres paramĂštres de santĂ© comme les maladies cardiovasculaires, le diabĂšte de type 2, la santĂ© mentale ou les fonctions cognitives ?
LâĂ©tude rĂ©alisĂ©e
Pour tenter de rĂ©pondre Ă ces questions, des chercheurs ont identifiĂ© toutes les Ă©tudes prospectives publiĂ©es entre 2014 et 2025, incluant des adultes (18 ans et plus) et mesurant objectivement le nombre de pas quotidiens Ă lâaide dâun dispositif portable (accĂ©lĂ©romĂštre ou podomĂštre). Seules les Ă©tudes avec un suivi longitudinal et une mesure dâau moins un problĂšme de santĂ© majeure (mortalitĂ© toutes causes confondues, maladies cardiovasculaires, cancer, diabĂšte de type 2, dĂ©mence, symptĂŽmes dĂ©pressifs, fonction physique, chutes) Ă©taient incluses.
Au total, 57 études issues de 35 cohortes ont été synthétisées, avec des échantillons de participants uniques dans les méta-analyses variant de 61 594 pour le diabÚte de type 2 à 161 176 pour la mortalité toutes causes confondues.
Lâobjectif de cette Ă©tude Ă©tait double : dâune part, Ă©valuer lâassociation dose-rĂ©ponse entre le nombre de pas par jour et diffĂ©rents problĂšmes de santĂ© ; dâautre part, explorer la relation entre la cadence de marche (intensitĂ© approximative via la frĂ©quence des pas) et ces mĂȘmes problĂšmes.
Pour traiter les rĂ©sultats, une valeur de 2000 pas journalier a Ă©tĂ© choisie comme rĂ©fĂ©rence car elle reprĂ©sente le niveau moyen dâactivitĂ© des personnes trĂšs sĂ©dentaires ou fragiles. Les chercheurs ont examinĂ© les courbes dâassociation pour chaque problĂšme de santĂ©, en identifiant les inflexions (plateaux), les seuils de bĂ©nĂ©fice maximal et les rĂ©ductions de risque associĂ©es Ă diffĂ©rents niveaux de pas.
Résultats
Lâun des rĂ©sultats majeurs de cette mĂ©ta-analyse est la dĂ©monstration dâune relation dose-rĂ©ponse claire et cohĂ©rente entre le nombre de pas par jour et la plupart des problĂšmes de santĂ© Ă©tudiĂ©s. Plus les gens marchent, plus leur risque de maladie ou de dĂ©cĂšs diminue, jusquâĂ un certain seuil au-delĂ duquel les bĂ©nĂ©fices semblent se stabiliser.
Pour la mortalitĂ© toutes causes confondues, les donnĂ©es montrent une diminution du risque dĂšs 4000 pas par jour, avec un point dâinflexion vers 5400 pas. Ă partir de 7000 pas, le risque est rĂ©duit de 47 % par rapport Ă 2000 pas par jour. Ce bĂ©nĂ©fice continue Ă sâaccroĂźtre lĂ©gĂšrement jusquâĂ 12 000 pas, mais la courbe devient plus plate, ce qui suggĂšre des rendements dĂ©croissants.
Concernant les maladies cardiovasculaires, lâassociation est Ă©galement significative : 7000 pas par jour sont associĂ©s Ă une rĂ©duction de 25 % du risque dâincident cardiovasculaire, et de 47 % du risque de mortalitĂ© cardiovasculaire. La forme de la courbe est lĂ©gĂšrement diffĂ©rente selon lâĂąge : chez les plus jeunes, le bĂ©nĂ©fice maximal semble survenir autour de 7800 pas par jour, tandis que chez les personnes ĂągĂ©es, un seuil de 5300 pas suffit Ă produire un effet marquĂ©.
Pour le diabĂšte de type 2, la rĂ©duction du risque suit une courbe linĂ©aire, avec un bĂ©nĂ©fice progressif par tranche de 1000 pas. Ă 7000 pas, le risque est rĂ©duit de 14 %, et continue Ă baisser jusquâĂ 10 000â12 000 pas.
En ce qui concerne la santé mentale, le lien entre le nombre de pas et les symptÎmes dépressifs est lui aussi linéaire. Chaque tranche de 1000 pas supplémentaires est associée à une diminution mesurable du risque. à 7000 pas, le risque de dépression est réduit de 22 %.
La dĂ©mence, bien que moins souvent Ă©tudiĂ©e, prĂ©sente une relation inverse significative. Deux Ă©tudes montrent une rĂ©duction de 38 % du risque Ă 7000 pas. LĂ encore, les bĂ©nĂ©fices sont visibles dĂšs 4000â5000 pas et se stabilisent au-delĂ de 9000.
Pour les chutes, les donnĂ©es sont plus spĂ©cifiques aux personnes ĂągĂ©es. La relation est non linĂ©aire, avec un bĂ©nĂ©fice maximal autour de 8800 pas par jour. Au-delĂ , certaines Ă©tudes suggĂšrent mĂȘme une lĂ©gĂšre augmentation du risque, peut-ĂȘtre liĂ©e Ă une exposition plus grande aux environnements Ă risque.
Enfin, les donnĂ©es sur la fonction physique (mobilitĂ©, autonomie, limitation fonctionnelle) sont plus hĂ©tĂ©rogĂšnes mais globalement cohĂ©rentes : marcher plus est associĂ© Ă un meilleur maintien de la capacitĂ© Ă se dĂ©placer, Ă monter des escaliers ou Ă se lever dâune chaise.
Analyse des résultats
Ce travail constitue, Ă ce jour, la synthĂšse la plus complĂšte sur les effets du nombre de pas quotidiens sur la santĂ© globale. Contrairement Ă lâidĂ©e populaire des 10 000 pas, les donnĂ©es montrent que des bĂ©nĂ©fices substantiels sont obtenus dĂšs 4000â5000 pas par jour, et quâenviron 7000 pas semble ĂȘtre un seuil particuliĂšrement efficace sur un large Ă©ventail dâindicateurs de santĂ©.
Ce chiffre prĂ©sente deux avantages majeurs. Dâune part, il est plus rĂ©aliste et accessible pour une majoritĂ© de la population, notamment les personnes ĂągĂ©es, sĂ©dentaires ou atteintes de pathologies chroniques. Dâautre part, il est associĂ© Ă une rĂ©duction de risque significative, souvent proche de celle observĂ©e Ă 10 000 pas. Pour certains risques comme la mortalitĂ© toutes causes confondues ou le risque cardiovasculaire, les 10 000 pas apportent un bĂ©nĂ©fice supplĂ©mentaire de 5 Ă 10 %, mais au prix dâun effort supplĂ©mentaire potentiellement dissuasif.
Le fait que les courbes soient souvent non linĂ©aires, avec un point dâinflexion autour de 5000â7000 pas, confirme lâidĂ©e que chaque pas compte, mais que les rendements sont dĂ©croissants. Cela invite Ă adopter une stratĂ©gie de santĂ© publique axĂ©e sur lâaugmentation progressive de lâactivitĂ©, plutĂŽt que sur lâatteinte brutale dâun seuil arbitraire.
Il est important de noter que les bĂ©nĂ©fices apparaissent indĂ©pendamment de lâintensitĂ©. Marcher doucement mais longtemps peut suffire Ă induire des effets protecteurs. Cela ne signifie pas que lâintensitĂ© nâa aucun intĂ©rĂȘt, mais elle nâest pas indispensable dans un premier temps. Le volume dâactivitĂ© semble ĂȘtre le principal facteur associĂ© Ă la rĂ©duction du risque (selon les donnĂ©es disponibles actuellement).
Les donnĂ©es mettent Ă©galement en lumiĂšre certaines diffĂ©rences dâeffet selon lâĂąge, la condition de dĂ©part, ou le type de capteur utilisĂ©. Les personnes ĂągĂ©es tirent un bĂ©nĂ©fice plus prĂ©coce (dĂšs 4000â5000 pas), ce qui confirme la pertinence de programmes de marche chez les seniors. En revanche, pour les jeunes adultes, des volumes plus Ă©levĂ©s sont nĂ©cessaires pour des effets Ă©quivalents, peut-ĂȘtre en raison dâun risque de base plus faible, ou dâun niveau dâactivitĂ© dĂ©jĂ plus Ă©levĂ©.
Applications pratiques
Ces rĂ©sultats ont des implications cliniques directes. Tout dâabord, ils confirment que marcher, mĂȘme un peu, est mieux que de ne rien faire. Passer de 2000 Ă 4000 pas par jour permet dĂ©jĂ de rĂ©duire de maniĂšre significative le risque de mortalitĂ© ou de maladies chroniques. Ce message est crucial pour les personnes trĂšs sĂ©dentaires, qui peuvent parfois ĂȘtre dĂ©couragĂ©es par des recommandations jugĂ©es inaccessibles.
Ensuite, ils permettent dâajuster les objectifs selon les capacitĂ©s et les profils. Pour les personnes fragiles, ĂągĂ©es ou en rééducation, viser dâabord 4000 Ă 6000 pas par jour est dĂ©jĂ trĂšs protecteur. Pour les adultes en bonne santĂ©, 7000 Ă 10 000 pas par jour offre une cible pertinente, avec des bĂ©nĂ©fices supplĂ©mentaires au-delĂ mais moindres.
Enfin, ils permettent dâancrer concrĂštement les recommandations de santĂ©. Contrairement aux 150 minutes dâactivitĂ© modĂ©rĂ©e par semaine, plus difficile Ă quantifier dans la vie quotidienne, le nombre de pas est facilement traçable, que ce soit via des applications ou des montres connectĂ©es. Il permet un feedback immĂ©diat et favorise la mise en action. Dans un monde oĂč les modes de vie sĂ©dentaires sont devenus la norme, replacer la marche au cĆur de la stratĂ©gie de santĂ©, non comme un idĂ©al sportif, mais comme une norme accessible, est un levier puissant, peu coĂ»teux, et validĂ© scientifiquement.
Référence
Ding, D., Nguyen, B., Nau, T., Luo, M., Del Pozo Cruz, B., Dempsey, P. C., Munn, Z., Jefferis, B. J., Sherrington, C., Calleja, E. A., Hau Chong, K., Davis, R., Francois, M. E., Tiedemann, A., Biddle, S. J. H., Okely, A., Bauman, A., Ekelund, U., Clare, P., & Owen, K. (2025). Daily steps and health outcomes in adults: A systematic review and dose-response meta-analysis. The Lancet Public Health.