11/06/2025
Quelle belle analyse.... (lisez tout le texte!)
"Le problème n’est pas la qualité des soins,
c’est la gestion de l’accès aux soins.
Et les médecins n’en sont pas responsables."
Je suis avocat. Je ne suis pas médecin. Ni économiste, mais j’ai quelques bases.
Et je vois passer beaucoup de désinformation à propos de la fameuse étude du HEC selon laquelle :
« lEs MéDeCiNs QuÉbÉcOiS sOnT LeS mIeUx PaYéS aU cAnAdA »
(Pour ceux nés avant les années 80 : les majuscules alternées sont un marqueur de sarcasme.)
Voici donc quelques éléments problématiques avec la narrative caquiste entourant cette étude.
(nb : Il s’agit d’une analyse sommaire, à la simple lecture du rapport. N’hésitez pas à consulter un économiste pour une analyse plus approfondie.)
1 - Une étude financée par… le MSSS
L’étude est financée par le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS), qui a aussi fourni l’équipe de recherche, la logistique et les données (voir l’avant-propos de l’étude).
Malgré cela, les auteurs ne déclarent aucun conflit d'intérêt.
2 - Les rangs réels
Les omnipraticiens québécois arrivent deuxièmes au Canada pour la rémunération, derrière l’Alberta, et en tête seulement après ajustement au coût de la vie.
Quant aux spécialistes, on nous dit qu’ils sont « dans la moyenne » — alors qu’ils sont en réalité avant-derniers, juste devant l’Ontario (p. 17 du rapport).
3- Le mode de rémunération, un facteur clé
Les omnipraticiens du Québec (et de l’Alberta) sont très majoritairement rémunérés à l’acte :
-Québec : 72,6 % à l’acte, 27,4 % autrement (salaire, etc.)
-Ontario : 45,7 % à l’acte, 54,3 % autrement (p. 17 et Annexe A)
Cette différence à elle seule explique probablement une bonne partie de l’écart :
le paiement à l’acte est plus élevé par nature, puisqu’il n’inclut pas d’avantages sociaux. C’est vrai pour pas mal toutes les professions (avocats, ingénieurs, comptables, etc.)
4 - Un biais dans les données québécoises
L’étude reconnaît qu’environ 27,4 % des médecins québécois sont rémunérés autrement qu’à l’acte (CLSC, Gouvernement, etc.).
Pourtant, les données de la RAMQ utilisées dans l’étude n’incluent que les médecins à l’acte.
Autrement dit : on exclut volontairement le quart des médecins, souvent ceux dont la rémunération est la plus basse.
Les auteurs l’admettent, mais selon eux cela n’affecte pas la validité de leurs chiffres.
5 - Les facteurs extrinsèques : ignorés
L'étude conclut également que l'augmentation du salaire des médecins a entraîné une baisse du service offert (on appelle ca l'élasticité négative). On mélange toutefois la causalité et la corrélation ici. L’étude ne tient pas compte des nombreux facteurs qui influencent la rémunération :
-l’âge médian plus élevé de la population québécoise (plus de besoins médicaux et cas parfois plus complexes) ;
-l’offre de services complémentaires (ex. physician assistants en Ontario et les autres ressources professionnelles disponible qui peuvent prendre en charge le patient) ;
-L’efficacité générale du système et des outils, où le Québec est notoirement en re**rd, etc.
Bref, une lecture purement comptable, hors contexte socio-économique. Un tel raisonnement est douteux et peu mené à des incohérences frappantes.
Par analogie, si je prends ma voiture pour aller au travail et que le prix de l'essence augmente en même temps que j'obtiens un emploi plus loin de chez moi. Si on ne tient pas compte du facteur du changement de travail, une enquête statistique pourrait révélé que l'augmentation du prix de l'essence entraîne une augmentation de mes habitudes de consommation d'essence, alors que ce changement est dû à un facteur externe à l'équation.
En résumé
Cette étude semble commandée par le MSSS pour produire un récit favorable pour pousser au public une narrative selon laquelle nos médecins sont des bébés gâtés.
Pendant qu’on détourne l’attention en parlant de leur rémunération, voici les vrais chiffres qu’on ne commente pas :
-5 h : temps d’attente moyen à l’urgence (augmentation de près d'1 h en 5 ans)
-13 050 : nombre de cadres dans le réseau de la santé (+37 % en 5 ans). Il y a désormais plus de cadres en santé que de médecins omnipraticiens au Québec.
-85 % : taux de satisfaction des Québécois envers les soins reçus de leur médecin;
-39% : l’augmentation de salaire des députés depuis les deux dernières années;
-770M $ : Le montant que le Québec a perdu dans les projets Northvolt et SAAQclic. Presque assez pour payer un médecin de famille aux 1,5M de Québécois qui n’en n’ont pas pendant près de 2 ans.
Le problème n’est pas la qualité des soins,
c’est la gestion de l’accès aux soins.
Et les médecins n’en sont pas responsables.
Je vous invite à lire l’étude vous-même et vous faire votre propre tête :
https://cjp.hec.ca/wp-content/uploads/2025/05/rapport-complet-medecins-2025.pdf