01/12/2025
La Suisse face à une campagne silencieuse contre la médecine complémentaire
Pendant longtemps, la Suisse s’est enorgueillie d’un paysage médical où différentes traditions pouvaient coexister. Le vote populaire de 2009, qui a inscrit la médecine complémentaire dans la Constitution, semblait sceller un principe simple : chacun doit pouvoir accéder aux thérapies qui lui conviennent, qu’elles soient conventionnelles ou complémentaires.
Mais entre 2023 et 2025, un changement subtil puis soudain s’est fait sentir. Une vague inhabituelle de critiques, de doutes et de tentatives de restriction a déferlé dans les médias, dans les communications des assureurs, et jusque dans les structures administratives. Du jour au lendemain, certaines pratiques ont été décrites comme « inefficaces », « non scientifiques » ou « trop coûteuses » — des affirmations qui ne résistent pourtant pas à l’examen.
Car tout le monde le sait : l’argument financier ne tient pas. La part de la médecine complémentaire dans les dépenses de santé est minime, bien incapacitante d’influencer les primes. Les coûts viennent des hôpitaux, des traitements lourds, de la pharmaceutique et de la prise en charge des maladies chroniques, pas de l’acupuncture, de la réflexologie ou des massages thérapeutiques. Ce constat en appelle un autre, plus dérangeant : si l’argent n’est pas la vraie motivation, qu’est-ce qui a déclenché cette attaque soudaine ?
La réponse tient à un phénomène beaucoup moins spectaculaire, mais profondément humain : les institutions protègent leur territoire.
Dans les universités et les hôpitaux académiques, une volonté de standardiser la définition même de la preuve scientifique s’est imposée ces dernières années. Cette définition, parfaitement adaptée aux médicaments et aux procédures hospitalières, laisse naturellement les thérapies non pharmacologiques à la périphérie. Il ne s’agit pas d’un complot, mais d’un cadre méthodologique qui finit par exclure ce qui ne lui ressemble pas. Ce qui ne se teste pas comme un médicament est immédiatement considéré comme douteux.
Les autorités sanitaires fédérales, quant à elles, recherchent avant tout l’harmonisation et la simplification des systèmes. Or les thérapeutes indépendants, leurs approches variées et leurs modèles non biomédicaux s’accordent mal avec cette logique. Du point de vue administratif, ce sont des exceptions — non pas parce qu’ils seraient dangereux, mais parce qu’ils sont différents.
Les assureurs ont également trouvé dans la médecine complémentaire un bouc émissaire idéal à un moment où l’opinion publique s’inquiétait de l’envolée des primes. Ils ne peuvent pas s’opposer ouvertement au pouvoir hospitalier ou à l’industrie pharmaceutique. Mais critiquer des praticiens indépendants, dépourvus de lobby puissant, ne coûte rien et donne l’illusion de « maîtriser les coûts ». Une stratégie commode, bien que tous savent qu’elle n’a aucun impact réel.
À cela s’ajoute le rôle des médias, souvent enclins à reprendre les positions des institutions académiques dès qu’il s’agit de science. Quand certaines voix universitaires brandissent la méfiance, l’écho médiatique suit sans toujours interroger la diversité des données ou l’expérience clinique des patients. La répétition finit par créer l’apparence d’un consensus.
Dans ce climat, un élément fondamental a été presque entièrement occulté : l’Organisation mondiale de la santé ne s’est jamais prononcée contre la médecine complémentaire. Au contraire, depuis plus d’une décennie, l’OMS encourage explicitement l’intégration des thérapies traditionnelles et complémentaires dans les systèmes de santé. Pourtant, seules quelques phrases sur « la politique fondée sur les preuves » ont été reprises dans le débat suisse, détachées de leur contexte. Une utilisation sélective qui a pu donner l’impression d’un soutien international à la restriction des pratiques — impression totalement infondée.
Ce que la Suisse a vécu n’est donc pas une conspiration, mais une convergence. Lorsque les intérêts académiques, administratifs, assurantiels et médiatiques s’alignent, les conséquences peuvent prendre les airs d’une campagne organisée, même si personne n’a donné le signal de départ.
En profondeur, c’est une question de vision.
La médecine complémentaire est de proximité : humaine, décentralisée, relationnelle, souvent manuelle. Elle valorise l’autonomie du patient et les approches non médicamenteuses. Elle s’exerce au sein des communautés, dans des cabinets indépendants, à taille humaine.
Le modèle dominant, lui, repose sur de grandes structures, des technologies lourdes, des protocoles standardisés et une gouvernance académique forte. Deux univers qui peuvent coexister, mais qui ne partagent pas les mêmes fondations. Quand ils se croisent, le plus petit doit toujours plus se justifier.
Pourtant, des millions de personnes en Suisse continuent de choisir l’acupuncture, les thérapies manuelles, la réflexologie, la photothérapie ou les approches intégratives — non pas pour rejeter la médecine moderne, mais pour la compléter. Parce qu’ils veulent quelque chose de plus personnel, de plus global, de plus équilibré.
La campagne récente n’a pas été motivée par les coûts, ni par la science, ni par l’intérêt des patients. Elle découle d’une tension profonde : la médecine complémentaire incarne une indépendance que certaines structures préfèrent limiter.
La Suisse doit maintenant répondre à une question fondamentale : veut-elle un système de santé toujours plus centralisé et homogène, ou souhaite-t-elle préserver l’ouverture et la pluralité qui ont longtemps fait sa force ?
Ce débat ne parle pas d’argent.
Il parle de liberté thérapeutique,
de confiance envers les patients,
et du droit de chacun à choisir ce qui contribue réellement à sa santé.