30/09/2025
Myogelose et sa prise en charge : connaissances actuelles et rôle de la puncture sèche et du massage médical
Résumé
La myogelose (Myogelose en allemand) est un terme clinique historique décrivant un durcissement localisé du muscle. La recherche moderne montre qu’il s’agit en réalité du même phénomène que les points gâchettes myofasciaux (myofascial trigger points, MTrPs). Cet article résume les connaissances contemporaines sur la myogelose : définition, substrat biologique, méthodes diagnostiques et traitements validés. Une attention particulière est portée à l’intégration de la puncture sèche (dry needling, DN) et du massage médical (MM), en analysant leur logique mécanistique, les preuves cliniques disponibles et leur efficacité selon les stades de la condition.
⸻
1. Terminologie et contexte historique
La myogelose désigne une zone musculaire ferme et douloureuse à la pression. Au début du XXe siècle, les médecins allemands parlaient de myogeloses comme d’une sorte de « gélification » du muscle. Aujourd’hui, la littérature internationale utilise surtout le terme point gâchette myofascial (MTrP). Les deux concepts sont considérés comme équivalents (5).
⸻
2. Que se passe-t-il dans le tissu musculaire ?
Histologie
Les études microscopiques de nodules excisés montrent qu’ils présentent un épaississement des fibres, une hypertrophie locale, des altérations de l’endomysium et parfois des signes dégénératifs. Ces résultats confirment que la myogelose est un phénomène biologique réel, et non une simple impression palpatoire (1).
Biochimie
Les prélèvements biochimiques réalisés directement dans des points douloureux révèlent un milieu acide et une forte concentration de médiateurs de la douleur et de l’inflammation (bradykinine, substance P, CGRP, cytokines). Ces anomalies expliquent la sensibilité et la douleur spontanée liées à la myogelose (2–4).
Imagerie
• Élastographie par résonance magnétique (MRE) : les bandes tendues sont jusqu’à deux fois plus rigides que le muscle voisin (5).
• Échographie et élastographie ultrasonore : elles montrent des zones de texture anormale et quantifient la rigidité accrue (8).
• Avancées récentes : certaines études associent échographie et prélèvements avant/après puncture sèche, marquant une évolution vers des méthodes objectives (6).
⸻
3. Diagnostic
Critères cliniques
Le diagnostic repose sur la palpation d’une bande tendue contenant un point hyperirritable, reproduisant la douleur familière du patient, parfois associée à une douleur référée ou à une contraction locale (7).
Fiabilité et limites
L’accord entre examinateurs est seulement moyen (κ ≈ 0,45). L’échographie et l’élastographie peuvent aider, mais aucun test de référence n’existe encore. Le diagnostic reste donc principalement clinique (7).
⸻
4. Fréquence et importance clinique
La myogelose est fréquente, surtout dans les muscles posturaux (trapèze supérieur, paravertébraux, fessiers). Elle est couramment observée chez les patients souffrant de douleurs cervicales ou lombaires chroniques. Bien que les chiffres exacts varient, la plupart des revues considèrent les MTrPs comme une cause majeure de douleur musculosquelettique (7).
⸻
5. Physiopathologie
Le modèle le plus répandu est celui de la « crise énergétique » : une activité excessive de la plaque motrice entraîne une diminution du flux sanguin, un déficit en oxygène et un milieu acide qui sensibilise les fibres nerveuses locales (2–4).
Cependant, les mécanismes centraux (sensibilisation du système nerveux, facteurs psychosociaux) jouent aussi un rôle majeur dans la chronicisation de la douleur (5,7).
⸻
6. Options thérapeutiques
• Prise en charge multimodale (première ligne). Éducation, correction ergonomique, exercices progressifs, étirements et thérapie manuelle.
• Puncture sèche (DN). Les essais cliniques montrent une réduction de la douleur à court terme et une amélioration des seuils de douleur à la pression, notamment dans les douleurs cervicales et lombaires (7,8).
• Infiltrations. Les injections de lidocaïne peuvent être efficaces, mais des études montrent que le sérum physiologique obtient parfois des résultats similaires (7).
• Toxine botulinique (BoNT-A). Résultats hétérogènes : peut être envisagée seulement en cas de résistance aux autres traitements (7).
• Guidage échographique. Améliore la précision et la sécurité, mais sans preuve de supériorité à long terme par rapport aux techniques classiques (7,8).
⸻
7. Intégration de la puncture sèche et du massage médical
Pourquoi les combiner ?
• DN : désorganise le nodule, modifie l’environnement chimique et diminue la rigidité (2–4,8).
• MM : soulage immédiatement, augmente le seuil de douleur, améliore la mobilité et la perfusion (7).
Ensemble, ils permettent une approche « débloquer + lisser ».
Résultats cliniques
• Associer DN à la thérapie manuelle donne de meilleurs résultats que la thérapie manuelle seule (6).
• DN + physiothérapie est supérieur à la physiothérapie seule pour les points gâchettes du trapèze (8).
• DN et compression ischémique (massage) sont tous deux efficaces ; DN apporte souvent un soulagement plus rapide, mais les deux techniques se complètent (7).
• Attention : dans certaines douleurs cervicales, la thérapie manuelle + exercice a montré de meilleurs résultats que DN + exercice, confirmant que DN/MM sont des adjuvants et non des solutions isolées (9).
Impact selon les stades
• Latent : résolution fréquente en quelques séances.
• Actif : amélioration nette, souvent rétrocession au stade latent en 2 à 12 semaines si associée à l’exercice et à la correction posturale.
• Chronicité avec sensibilisation centrale : amélioration locale partielle ; une prise en charge centrée sur le système nerveux et les facteurs psychosociaux est indispensable.
Pratique clinique
• Séquence : DN → MM → étirements/AROM → renforcement progressif.
• Fréquence : 1 à 6 séances de DN sur 2 à 6 semaines ; MM à chaque séance, puis espacé.
• Sécurité : DN est globalement sûr (petites douleurs, ecchymoses) ; le massage médical est à très faible risque.
⸻
8. Points clés pour la pratique
• Considérer la myogelose comme équivalente aux MTrPs dans la documentation.
• Reconnaître l’existence de corrélats objectifs (histologie, biochimie, imagerie), mais accepter l’absence de test diagnostique définitif.
• Utiliser une prise en charge multimodale, avec DN et MM comme adjuvants.
• Réserver la BoNT-A aux cas résistants.
• Orienter la recherche vers la standardisation diagnostique, les biomarqueurs (MRE, SWE) et les essais cliniques de longue durée.
⸻
9. Conclusion
La myogelose, autrefois considérée comme une entité distincte, est aujourd’hui comprise comme faisant partie intégrante des points gâchettes myofasciaux. Les preuves histologiques, biochimiques et d’imagerie confirment sa réalité biologique. La prise en charge optimale est multimodale : la puncture sèche et le massage médical offrent des bénéfices complémentaires à court terme, permettant souvent de résoudre les nodules latents, calmer les nodules actifs et améliorer partiellement les formes chroniques. Une rééducation fonctionnelle et une approche biopsychosociale sont toutefois indispensables pour des résultats durables.
Références
1. Windisch A, Reitinger A, Traxler H, et al. Morphology and histochemistry of myogelosis. Clin Anat. 1999;12(4):266–271. PubMed
2. Shah JP, Danoff JV, Desai MJ, et al. Biochemicals associated with pain and inflammation are elevated near active MTrPs. Arch Phys Med Rehabil. 2008;89(1):16–23. PubMed
3. Shah JP, Gilliams EA. Biochemical milieu of trigger points studied with microdialysis. J Bodyw Mov Ther. 2008;12(4):371–384. ScienceDirect
4. Shah JP, Phillips TM, Danoff JV, Gerber LH. In vivo microanalytical technique for muscle milieu. J Appl Physiol. 2005;99(5):1977–1984. Journal of Applied Physiology
5. Shah JP, Thaker N, Heimur J, et al. Myofascial trigger points then and now: historical and scientific perspective. PM&R. 2015;7(7):746–761. PMC
6. Moraska AF, et al. Pumping the brakes on the biochemical milieu of trigger points. Arch Phys Med Rehabil. 2024. Archives of PM&R
7. StatPearls. Myofascial Pain Syndrome. 2025 update. NCBI Bookshelf
8. Turo D, Otto P, Shah JP, et al. Novel use of ultrasound elastography to quantify muscle tissue changes after dry needling. Ultrasound Med Biol. 2015;41(7):1975–1985. PubMed
9. Dunning J, Butts R, Mourad F, et al. Spinal manipulation and electrical dry needling in patients with subacromial pain syndrome: a multicenter randomized clinical trial. J Orthop Sports Phys Ther. 2021;51(1):37–49. JOSPT