26/07/2020
La communication non-violente… seulement de la communication?
La communication non-violente a été développée par Marshall Rosenberg, psychologue, médiateur, enseignant... Un des postulats de base de cette approche est que toute personne est par nature bienveillante. La violence (p.ex., physique, verbale, ou symbolique) n’émergerait que par le manque de satisfaction de besoins personnels. Selon cette perspective, contre toute apparence, la personne qui pose des actions qui créent souffrance chez l’autre en toute connaissance de cause et dans ce but n’est pas par nature mauvaise, mais souffre elle-même de besoins non-remplis. Le fait de remplir ces besoins l’amènerait à retrouver sa nature bienveillante.
UNE DEMARCHE EN QUATRE TEMPS
Rosenberg propose une démarche en quatre temps : l’observation, les émotions, les besoins, la demande.
- l’observation : ce que je peux observer, de manière concrète d’une situation, sans y mêler de jugement personnel ou d’évaluation.
- les émotions : les émotions (et seulement les émotions) que je ressens en lien avec cette situation, en tentant de les décrire aussi précisément et honnêtement que possible.
- les besoins : je décris aussi fidèlement que je peux les besoins non-remplis qui sont associés à l’émergence de ces émotions, et qui me sont personnels.
- la demande : je demande de manière claire, palpable et mesurable une action venant de la personne à qui je m’adresse, d’une manière compréhensible et réalisable. Cette étape est cruciale, car bien souvent on se rend compte que ce que l’on attend de l’autre n’est pas clair pour nous-même... Comment l’autre pourrait donc le savoir ?
Si le modèle qu’il utilise fonctionne, en soi, tant pour les besoins remplis que non-remplis, l’idée est de se mettre en dialogue avec les personnes, sous une forme bienveillante de négociation, lorsque certains de ceux-ci ne sont pas remplis et qu’il nous importe de leur donner satisfaction. Marshall Rosenberg distingue une demande d’une exigence. En effet, en cas de refus, si on se situe dans l’acceptation, il s’agissait probablement bien d’une demande. S’il y a une forme de pression qui apparaît, alors on était plutôt du côté de l’exigence.
UNE MECOMPREHENSION INITIALE
J’ai souvent pensé “C’est intéressant, mais il s’agit quand même d’une approche un peu niaise, simpliste et qui vit dans un monde de bisounours blessés qui ne demandent qu’à être aimés…”, ou encore “Ok, mais il existe bien plus de nuances que cela, et les besoins sont de plusieurs ordres, et divergent des attentes, des souhaits, … encore, ils peuvent être contradictoires et émerger en même temps, nous bloquer, etc.” Bref. J’ai longtemps entretenu un sentiment mitigé vis-à-vis de la communication non-violente.
Actuellement, j’en entretiens beaucoup moins, même s’il est clair, ma vision du monde n’est pas complètement compatible. J’en apprécie sa valeur comme outil de communication et comme bout de philosophie de vie avec les autres et avec soi-même. J’en souligne le pouvoir responsabilisant pour chacun-e de faire l’exercice d’identifier ses émotions et besoins, et surtout, de formuler ce qu’on attend des autres et de soi-même lorsqu’on désire un changement, quel qu’il soit.
Plus qu’un outil de communication, il s’agit d’une posture. Oublions le temps d’un instant les formulations mécaniques et structurées passant par observation-émotion-besoin-demande. Elles peuvent donner à l’autre l’impression d’être manipulé, ou que nous passons carrément à côté de son vécu. L’idée est surtout de clarifier nos mondes émotionnels (le notre, et ceux des autres), de clarifier nos attentes en fonction des “lieux” pour lesquels nous souhaitons nous responsabiliser. L’avantage - mais aussi la responsabilité - est de comprendre mieux ce qui se passe d’un point de vue émotionnel et des besoins, et de décider de ne pas y répondre, ou alors d’y répondre, en clarifiant comment. Cette responsabilisation, c’est un peu comme se perfectionner dans un art martial, et être tellement au clair avec ses capacités corporelles et de mouvement, que toute action être alors réfléchie et responsable, elle ne peut plus être le fruit du hasard.
De la même manière, si on affûte notre intelligence émotionnelle, qu’on est plus à même de se repérer dans les émotions des autres et de nous-même, il y a une part de déni de la réalité qui va s’en aller avec. Par exemple, si je cherche à tout prix à ce que l’autre soit comme ceci, comme cela, qu’il m’aime, qu’il n’ait pas d’autres désirs, etc., alors un réflexe typique est de masquer cette réalité au point de ne pas/plus la voir. Or, faire le tri dans ces mondes émotionnels nous amène à voir des choses qui peuvent nous déplaire, ne pas convenir à nos attentes, et pour une part, constituer des réalités que nous ne pouvons pas changer.
VERS UNE RESPONSABILISATION DE SOI ET DES AUTRES
Il y a des réactions que l’on voudrait spontanées chez l’autre, qu’on voudrait comme « naturelles et immuables ». Cette spontanéité de l’autre est difficilement changeable, et provient de nos fantasmes plutôt que d’éléments pouvant bénéficier d’un changement opérationnel. Il semble intéressant plutôt dans ce cas d’identifier nos besoins à nous, et élaborer comment faire face à une réalité qui nous dérange, une réalité qui ne sera pas changée de manière magique pour combler nos fantasmes. On est ici loin d’une approche « niaise ». Il s’agit bien plus d’une volonté de responsabilisation, de soi et des autres, et centrée sur des aspects concrets et compréhensibles, à partir desquels on peut opérer un changement.
Pour une bonne part, c’est bien souvent notre vision des choses qui s’ajustera aux observations de besoins que l’on fait, en nous-même et autour de nous, plutôt que l’inverse. En effet, on peut ne pas répondre à un besoin, mais il est difficile de le réprimer et nier son existence. De la même façon - et ceci rejoint les approches comportementales des première et troisième vagues - c’est bien souvent nos croyances, nos attentes et représentations qui vont changer en fonction des événements concrets auxquels nous sommes confronté-e-s. Par exemple, si j’ai une croyance profonde en mon incapacité à être « actif-ve » et « efficace » au quotidien, il est plus probable que je serai davantage convaincu-e par le contraire si je parviens concrètement à rencontrer plusieurs objectifs que je me suis fixé chaque jour. Cela consiste en quelque sorte à une analyse rétrospective sur base de faits observés.
Dans le cadre présent, un exemple peut être de constater une attirance de la part de notre conjoint-e pour une autre personne. Dans ce cas, nous pourrons décider de voiler la réalité en trouvant toutes les excuses ou parcours de réinterprétation possibles, ou de clarifier en quoi cela nous dérange, et d’identifier ce qui peut être changé et ce qui ne le peut pas. Peut-être nos représentations de la nature humaines seront-elles appelées à être modifiées. Peut-être nos attentes au niveau de la vie en couple seront-elles plus limpides. Peut-être découvrirons-nous que ce sont des besoins qui dépassent la sphère amoureuse qui ne sont pas remplis.
UN FOCUS MIS SUR LES COMPORTEMENTS
Encore une fois, les comportements sont modifiables, les croyances le sont en partie, mais les émotions ne le sont que plus difficilement. Les émotions diffusent en nous pour nous rendre compte de notre positionnement par rapport à ce qui nous entoure, en termes de satisfaction ou de danger, afin de nous orienter dans nos conduites et nos tentatives de changement. Il ne s’agit pas de les réprimer. Il ne s’agit pas forcément d’y donner directement suite non plus. Il s’agit de les comprendre et d’effectuer des négociations avec la réalité afin d’augmenter notre bien-être et diminuer notre mal-être autant qu’il nous est possible.
SOUTENIR DES VALEURS
Cette satisfaction de besoins ne se traduit pas forcément en plaisir. En effet, il peut nous importer de défendre et soutenir des valeurs (p.ex., l’égalité entre être humains, l’honnêteté). En les incarnant, nous pouvons nous heurter à des contradictions avec la réalité et nous constatons des besoins non-remplis qui sont parfois relativement accrus. La communication non-violente constitue alors une perspective utile pour entrer en relation avec les personnes qui peuvent nous aider à satisfaire ces besoins. On voit qu’on n’est pas ici dans le plaisir simple, mais dans le soutien de valeurs et visions profondes qui ont une importance pour nous.
DES SITUATIONS TRES FACTUELLES
La communication non-violente est centrée sur les besoins. Toutefois, il ne s’agit pas de se « sur-focaliser » sur les besoins et émotions, dans tous les cas de figure. Cela pourrait rapidement surcharger nos conversations, particulièrement dans des contextes où c’est le factuel qui prime. On peut chacun-e penser à des situations professionnelles où un certain degré de rapidité et d’efficacité est attendu, et pour lesquelles il serait inapproprié et chronophage de passer par les quatre temps de la communication non-violente décrits plus haut. L’idée est qu’en se reliant à nous-même et aux autres, et aux besoins de chacun-e, il n’est pas nécessaire de systématiquement verbaliser en longueur ces besoins, mais de se reposer surtout sur une compréhension des autres et de nous-mêmes, dans une approche bienveillante.
EN CONCLUSION
J’espère que ce tour d’horizon de ce que j’ai compris de la communication non-violente développée par Marshal Rosenberg, ainsi que de mes réflexions associées vous aideront, dans votre quotidien, à clarifier certains besoins non-remplis. Il s’agit donc d’une méthode et d’une philosophie de vie, ancrées dans la bienveillance. La communication non-violente amène à une responsabilisation de soi et des autres, en assumant des besoins personnels et en prenant l’initiative de formuler des requêtes claires... qui seront acceptées ou non.
Je vous souhaite une merveilleuse journée,
Grégory Dessart, PhD
Psychologue FSP