30/10/2025
Bel article sur l’autorenforcement 😊
La balade d’un point de vue éthologique
Lors du dernier stage que j’ai encadré, nous avons rencontré une problématique commune à plusieurs binômes:
le chien ne s’intéresse pas (ou peu) à son maître pendant les balades, ils n’ont pas de rappel (vous savez, la fameuse phrase: “il a un bon rappel, sauf quand…”), et s’ils sont attachés, les tirages en laisse ou en longe deviennent permanents.
Et ma réponse est toujours la même: “oui, c’est normal!”
Mais pourquoi c’est normal?
Reprenons quelques bases éthologiques pour comprendre:
À l’état sauvage, un canidé ne se déplace jamais pour “le plaisir”.
Chaque mouvement a une finalité claire: traquer, chasser, se reproduire, défendre un territoire, explorer une ressource.
Le déplacement gratuit n’existe pas.
Autrement dit, ce que nous appelons “balade” n’existe pas dans le monde animal: c’est une invention humaine.
Et pourtant, pour le chien, le simple fait de marcher, flairer, orienter, accélérer ou stopper mobilise une série de patrons moteurs de la prédation — des séquences neuromotrices instinctives héritées du comportement de chasse.
- Quand il renifle le sol: -> “recherche”
- Quand il suit une odeur spécifique au sol: -> “traque”
- Quand il fixe un point: -> “fixation visuelle”
- Quand il coure après sa “proie”: -> “poursuite”
- Quand il bondit sur un bâton ou une b***e: -> “capture” (+ éventuellement “mise à mort”)
etc.
Pendant qu’il est dans cet état, son système nerveux oscille entre exploration et prédation.
Il alterne entre des circuits de curiosité sensorielle (prise d’information, orientation, flair) et des circuits moteurs plus archaïques liés à la prédation.
Cette alternance progressive explique pourquoi un chien peut, en quelques secondes, passer d’un simple reniflage à une course instinctive, sans véritable “décision consciente”.
Et ce mode de fonctionnement est profondément gratifiant: chaque micro-séquence libère de la dopamine, renforçant le comportement.
Autrement dit, la balade est auto-renforçante.
Plus le chien explore, plus son cerveau le récompense.
Voilà pourquoi l’attention au maître s’efface: non pas par désintérêt ou désobéissance, mais parce que le système de récompense interne est déjà activé.
(C’est ce qu’on appelle un renforçateur intrinsèque.)
⚠Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas balader son chien.
Au contraire: la balade est essentielle!
Mais il faut comprendre ce qu’elle déclenche, et pourquoi elle ne devrait pas être laissée totalement “libre”.
Laisser un chien suivre ses séquences instinctives sans intervention revient à laisser la prédation s’auto-renforcer.
Chaque fois qu’il suit une odeur, qu’il accélère, qu’il piste ou qu’il poursuit, il alimente ce système moteur ancestral.
Et plus il le répète, plus ces circuits se renforcent.
C’est ce qu’on appelle un renforcement par répétition: les voies neuronales associées à la prédation deviennent plus rapides, plus efficaces, plus automatiques.
Autrement dit, si l’humain n’intervient jamais, le chien devient meilleur prédateur.
Pas dans le sens “dangereux”, mais dans le sens “hautement spécialisé dans la poursuite et la capture”.
Et c’est exactement ce qu’on observe chez les chiens qui tirent en laisse, qui n’ont plus de rappel ou qui partent au moindre stimulus mobile: ils ne sont pas désobéissants, ils sont simplement performants dans un programme qu’on a laissé s’installer.
C’est pour ça que l’idée de “laisser le chien satisfaire ses besoins exploratoires” est souvent mal comprise.
Oui, il doit explorer — mais pas sans cadre.
Le rôle du maître, c’est d’être acteur de la balade, pas simple spectateur.
Cela signifie:
- observer les changements d’état (olfactif→moteur→visuel)
- interrompre tôt (pause, retour au calme)
- rediriger vers un comportement cible (suivi, recherche posée, cible odorante)
- interrompre si nécessaire (blocage net quand la dérive est lancée)
- alterner phases libres/guidées, ramener de la cohérence dans le mouvement
Par exemple, quand un chien suit une piste avec intensité, on peut marquer une pause, demander un retour au calme, puis relancer l’exploration plus t**d, ou proposer une alternative.
Ce simple mécanisme d’ouverture-fermeture apprend au chien à gérer son niveau d’activation nerveuse.
C’est cette alternance — liberté, régulation, liberté ou redirection vers un autre comportement — qui crée un équilibre réel.
Le chien exprime ses instincts, mais apprend à les contrôler, à tolérer la frustration de ne pas pouvoir boucler la boucle des patrons moteurs.
Et c’est exactement ça, le but d’une balade bien menée:
ne pas nier la nature du chien, mais la structurer.
Pour résumer et conclure:
il est vital de sortir votre chien et de le laisser profiter de sa balade, mais vous devez rester les maîtres — pas seulement de votre chien, mais du jeu.
Si vous laissez le prédateur (qu’il est) activer librement son instinct, alors c’est normal que, tôt ou t**d, il trouve l’odeur d’un lapin ou d’un congénère plus attractive que vous…et qu’il parte après!
Jouez avec votre chien!
Interagissez avec lui pendant la balade.
Faites-lui faire de la recherche, lancez-lui son jouet, variez les exercices, multipliez les rappels gratuits (sans raison particulière) et récompensez-les systématiquement (en tous cas en phase d'apprentissage).
Faites aussi des rappels silencieux, des changements de direction, des arrêts inattendus.
Bref, soyez acteur de la balade de votre chien, et il s’intéressera bien plus à vous.🙂