02/06/2025
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« (…) Ce que Jung exprime dans cette lettre dépasse de loin le simple éloge d’une philosophie orientale. Il y partage une vision anthropologique de la vérité : celle-ci ne peut être transmise, elle ne peut qu’advenir dans un être humain capable de l’accueillir — et cette capacité dépend de son propre cheminement intérieur, de son courage à affronter ses ténèbres, et de sa disponibilité à être transformé.(…)
À l’heure où la quête de sens est souvent court-circuitée par des spiritualités de consommation ou des doctrines prêtes-à-penser, ce rappel de Jung est d’une actualité brûlante : nul ne peut vous éveiller si vous ne vous êtes pas d’abord mis en route."
LBL / Ecole Jungienne de Psychanalyse Animiste – EJPA
Vers une sagesse incarnée : Jung, le Tao et l’expérience psychique de la vérité
« S’il était possible d’accéder à la vérité en apprenant des paroles de sagesse, alors le monde aurait été délivré de l’erreur dès le temps lointain de Lao Tseu. Comme l’a dit justement Tchouang-tseu, les maîtres anciens n’ont pas réussi à éclairer le monde parce qu’il ne s’y trouvait pas assez d’humains capables d’être éclairés ; c’est bien cela qui est regrettable. En aucun cas, la sagesse ne peut être reçue que dans le contact personnel ou à travers une expérience faite sans médiation.
La grande difficulté, presque insurmontable, est de savoir comment amener l’être humain à faire les expériences psychiques qui, seules, peuvent ouvrir ses yeux à la vérité au-delà de l’apparence. C’est partout une seule et même vérité, mais je dois dire que le taoïsme en est l’une des formulations les plus parfaites qu’il m’ait jamais été donné de voir. »
— C.G. Jung, Le Divin dans l’homme : Lettres sur les religions¹
Lettres sur les religions
La vérité comme événement intérieur
La citation de Jung que nous plaçons ici en exergue condense en quelques lignes une intuition fondatrice de la psychologie analytique : la vérité, comme réalisation intérieure, ne se transmet pas, elle se révèle. Elle ne dépend pas d’un enseignement extérieur, mais de la capacité de l’individu à faire l’expérience d’une transformation profonde, souvent initiée par le conflit intérieur, les symboles oniriques ou les grands retournements de l’existence.
En cela, le dialogue entre Jung et la sagesse taoïste ne constitue pas une coquetterie intellectuelle, mais un alignement naturel entre deux visions du monde qui affirment que toute voie vers la totalité est fondamentalement subjective, intuitive, et expérimentale.
Le paradoxe des maîtres : pourquoi la sagesse n’éclaire-t-elle pas le monde ?
Jung fait référence à Tchouang-tseu, maître du taoïsme et poète du paradoxe, qui affirmait que les sages n’ont jamais réussi à transmettre leur lumière au monde. Cette affirmation, loin d’être nihiliste, témoigne d’une compréhension profonde des résistances de la psyché humaine à l’éveil. L’être humain, dit Jung, doit traverser ses propres résistances, illusions et projections pour atteindre cette lumière intérieure. Aucune vérité ne peut être injectée de l’extérieur si l’âme ne s’y est pas d’abord préparée.
Encadré analytique : Le savoir versus la connaissance
Le savoir s’acquiert par accumulation. La connaissance, au sens jungien et taoïste, naît par transformation. Le savoir reste en surface, la connaissance touche l’âme.
C’est ce que confirme Jung dans ses séminaires :
*« Tout enseignement spirituel, s’il n’est pas accompagné d’une expérience personnelle, devient dogme ou superstition. »*²
Le Tao comme archétype du Soi
Dans sa lecture du taoïsme, Jung identifie dans le Tao une expression archétypique du Soi — ce centre organisateur et autorégulateur de la psyché. Le Tao Te King, texte fondamental de Lao Tseu, s’ouvre par cette phrase célèbre :
*« Le Tao que l’on peut nommer n’est pas le Tao éternel. »*³
On retrouve ici le refus de toute objectivation du mystère, tout comme chez Jung, qui affirme que le Soi ne peut être réduit à une image consciente sans le pervertir⁴. L’expérience du Soi, comme celle du Tao, ne se donne pas dans la pensée logique, mais dans le silence intérieur, dans les symboles du rêve, dans la synchronicité, et dans les bouleversements de l’existence.
L’individuation comme voie vers la vérité incarnée
L’individuation, concept-clé de Jung, désigne le processus par lequel un individu devient ce qu’il est réellement, en intégrant les contenus inconscients de sa psyché. Or ce processus ne peut ni être enseigné, ni imposé : il suppose une rencontre directe avec l’ombre, l’anima, les complexes personnels, et les forces archétypiques.
Note : Le chemin d’individuation se distingue de la simple quête de développement personnel ; il implique souvent souffrance, chaos, perte de repères. Comme dans le Tao, le progrès véritable commence par l’acceptation du vide.
Ce que Jung nomme l’expérience psychique, ce sont ces bouleversements intérieurs qui transforment la conscience et ouvrent l’accès à une réalité plus vaste, au-delà des apparences. Sans eux, la parole du maître est vaine.
La médiation impossible : pourquoi personne ne peut éveiller autrui
Jung insiste sur l’impossibilité de la médiation dans le processus d’éveil :
« En aucun cas, la sagesse ne peut être reçue que dans le contact personnel ou à travers une expérience faite sans médiation. »
Le thérapeute, comme le maître spirituel, ne peut pas éveiller son patient ou son disciple. Il peut accompagner, maintenir un espace, soutenir le processus, mais il ne peut ni forcer l’ouverture, ni en garantir l’issue. Cette reconnaissance de la limite de l’aide est, paradoxalement, une marque de profonde compassion.
Encadré clinique : L’attitude juste du thérapeute
Le rôle du thérapeute jungien n’est pas de montrer la voie, mais de permettre à l’autre de la découvrir en lui-même, souvent en se confrontant à ses propres monstres intérieurs.
Une seule et même vérité : pluralité des formes, unicité du fond
Jung conclut cette lettre par une affirmation qui mérite qu’on s’y arrête :
« C’est partout une seule et même vérité, mais je dois dire que le taoïsme en est l’une des formulations les plus parfaites. »
Dans cette phrase, il reconnaît que toutes les grandes traditions religieuses ou spirituelles pointent vers une même source, mais que peu parviennent à la dire sans la figer. Le taoïsme, avec son art de la fluidité, de la non-dualité, de l’acceptation du paradoxe, rejoint la vision jungienne d’un Soi non dogmatique, vivant, évolutif.
On pourrait ici évoquer le symbole du cercle, si important à la fois dans le mandala jungien et dans le Wu Wei taoïste : l’idée d’un ordre intérieur qui ne s’impose pas, mais qui se révèle quand on cesse de vouloir controler
une sagesse vivante ou rien
Ce que Jung exprime dans cette lettre dépasse de loin le simple éloge d’une philosophie orientale. Il y partage une vision anthropologique de la vérité : celle-ci ne peut être transmise, elle ne peut qu’advenir dans un être humain capable de l’accueillir — et cette capacité dépend de son propre cheminement intérieur, de son courage à affronter ses ténèbres, et de sa disponibilité à être transformé.
À l’heure où la quête de sens est souvent court-circuitée par des spiritualités de consommation ou des doctrines prêtes-à-penser, ce rappel de Jung est d’une actualité brûlante : nul ne peut vous éveiller si vous ne vous êtes pas d’abord mis en route.
LBL
Bibliographie
1. Jung, C.G., Le Divin dans l’homme : Lettres sur les religions, trad. de l’allemand, Albin Michel, coll. Espaces Libres, 2002.
2. Jung, C.G., Psychologie et religion, in Œuvres complètes, vol. 11, Buchet-Chastel, 1964.
3. Lao Tseu, Tao Te King, trad. Jean Levi, Albin Michel, coll. Spiritualités vivantes, 1994.
4. Jung, C.G., Psychologie et alchimie, in Œuvres complètes, vol. 12, Buchet-Chastel, 1964.
5. Tchouang-tseu, Œuvres complètes, trad. Jean Levi, Les Belles Lettres,