23/10/2025
Consentement : enfin une victoire collective, sauf pour l’extrême droite
C’est un de ces rares moments de grâce dans un hémicycle trop souvent fracturé : ce mardi 21 octobre, députés et sénateurs, toutes tendances confondues, se sont accordés sur un texte attendu depuis des années — l’inscription du non-consentement dans la définition pénale du viol.
Une avancée historique portée par un collectif transpartisan de femmes députées, qui ont réussi à imposer ce principe fondamental : sans consentement explicite, il y a viol.
Mais dans ce quasi-consensus républicain, deux voix ont détonné. Celles des députées Pascale Bordes et Sylvie Josserand, membres du Rassemblement national, seules à voter contre. Sans explication. Sans un mot.
Un silence lourd de sens, dans un débat qui touche au cœur de la lutte contre les violences faites aux femmes.
Une bataille parlementaire menée par des femmes, pour toutes les femmes
La proposition de loi, initiée en 2023 par Marie-Charlotte Garin (écologiste) et Véronique Riotton (Renaissance), visait à combler un vide juridique que de nombreuses associations dénonçaient depuis des années.
Jusqu’à présent, en France, la notion de viol reposait avant tout sur la violence, la contrainte, la menace ou la surprise. En d’autres termes : l’absence de consentement n’était pas, en soi, suffisante pour qualifier un viol.
Ce vide a souvent abouti à des non-lieux, des classements sans suite, ou des requalifications en « agression sexuelle », faute de « preuve » d’une contrainte physique. Une aberration que la quasi-totalité des pays européens avaient déjà corrigée.
La nouvelle rédaction, fruit de mois de travail entre députées et sénatrices, introduit désormais la notion de « circonstances » entourant l’acte :
« Il s’agit de reconnaître que le consentement ne se limite pas à un oui ou un non explicite, mais dépend d’un ensemble de facteurs — le contexte, les pressions, la peur, la sidération », explique Marie-Charlotte Garin.
Le choix du pluriel, les circonstances, a été farouchement défendu par les députées de la commission mixte paritaire — une instance exclusivement féminine, fait rarissime à l’Assemblée.
Elles y ont vu un symbole fort : celui d’une réappropriation du droit par celles qu’il protège trop souvent mal.
Un consensus fragile mais réel
Le texte devrait être adopté à une large majorité. Même les formations politiques habituellement divisées sur les questions sociétales ont salué « un progrès de civilisation ».
Les associations féministes, de leur côté, parlent d’un tournant historique dans la lutte contre les violences sexuelles, après le combat mené pour l’inscription de l’IVG dans la Constitution.
Mais dans cette union rare, deux votes ont brisé l’unanimité : ceux des députées du Rassemblement national, qui se sont opposées au texte sans avancer le moindre argument.
« Elles n’ont pas ouvert la bouche, pas un mot, rien », raconte une participante à la CMP.
Une opposition sèche, presque idéologique — comme si, face à un texte qui protège le corps et la liberté des femmes, le silence valait refus.
L’extrême droite et les droits des femmes : l’ambiguïté persistante
Ce vote minoritaire mais symbolique interroge.
Depuis quelques années, les figures de l’extrême droite tentent d’adopter un discours opportuniste sur les droits des femmes, se présentant comme « protectrices » face à l’insécurité ou aux violences sexuelles… mais seulement lorsqu’elles peuvent en détourner la cause vers leur rhétorique identitaire.
En réalité, leurs positions sur le corps, le consentement, l’avortement ou le patriarcat restent marquées par une vision réactionnaire et masculiniste.
Lors de l’inscription de l’IVG dans la Constitution, le parti avait déjà montré ses fractures internes et son embarras.
Ce nouvel épisode confirme la contradiction d’un mouvement qui prétend défendre les femmes tout en refusant d’inscrire dans la loi le principe même du consentement.
Une victoire politique, mais surtout culturelle
Au-delà du Parlement, cette réforme marque un tournant culturel.
Elle traduit un changement profond dans la manière dont la société française aborde la sexualité, la domination et la parole des victimes.
Pendant longtemps, le droit a jugé les femmes plus qu’il n’a jugé leurs agresseurs.
On leur demandait pourquoi elles n’avaient pas crié, pourquoi elles n’avaient pas résisté, pourquoi elles n’avaient pas fui.
Avec cette réforme, c’est enfin la logique du renversement qui s’impose : ce n’est pas à la victime de prouver qu’elle a refusé, mais à l’auteur de démontrer qu’il y avait consentement.
C’est un pas vers une justice qui écoute, qui croit, et qui comprend que le viol n’est pas qu’un acte de violence physique, mais avant tout une dépossession de soi.
Un texte qui fait école
La France rejoint ainsi une trentaine de pays européens — dont l’Espagne, la Suède ou le Danemark — qui ont déjà inscrit le consentement explicite dans leur législation.
En Suède, cette réforme a permis une augmentation de 75 % des condamnations pour viol, sans explosion des plaintes abusives, contrairement aux craintes des conservateurs.
Les chiffres parlent : lorsqu’on nomme les choses, lorsqu’on protège mieux les victimes, la justice devient plus efficace.
Quand les femmes font la loi
Ce vote est aussi un symbole générationnel et politique : une coalition féminine, transpartisane, unie au-delà des étiquettes.
Dans un paysage parlementaire souvent dominé par les logiques de parti et les affrontements stériles, ces femmes ont prouvé qu’une autre manière de faire de la politique est possible : collective, patiente, déterminée.
À l’heure où certains cherchent à diviser, à revenir en arrière, ou à relativiser les luttes féministes, cette victoire est une réponse éclatante : le consentement n’est pas un débat, c’est un droit.
Ce qui vient d’être voté n’est pas qu’un texte de loi.
C’est une reconnaissance symbolique : celle du droit de chaque femme à disposer librement de son corps, sans être soupçonnée, sans être humiliée, sans être jugée.
C’est aussi un avertissement : la conquête de ces droits reste fragile, car face à chaque avancée se dresse une réaction.
Et cette réaction, souvent dissimulée sous les oripeaux du conservatisme, continue de nier la parole des femmes.
Cette loi est donc un jalon, pas une fin.
Elle nous rappelle que la bataille pour l’égalité, la dignité et la liberté se mène à chaque instant — dans la rue, dans les tribunaux, dans les écoles, dans les couples, dans les consciences.