28/10/2025
🌿 RESTAURER LE TA**RA
Contre la lecture académique du Trika Śaiva
Il est temps de rendre au Ta**ra sa vérité : non celle qu’en fabriquent les historiens ou les exégètes, mais celle qu’il se donne à lui-même — la reconnaissance vivante de la conscience libre (svātantrya–saṁvid). Ce que l’Occident appelle « shivaïsme du Cachemire » n’est pas un courant intellectuel du passé : c’est une voie d’éveil opérative, issue de la Révélation (āgama) et de la réalisation directe (pratyabhijñā). Réduit à une « philosophie moniste » ou à une « théologie du pouvoir », il perd sa source : le Cœur vivant (hṛdaya), là où se reconnaissent Śiva et Śakti comme un seul et même éclat.
Les lectures universitaires ont voulu expliquer le Trika ; or on ne peut expliquer la lumière qu’en l’obscurcissant. En enfermant le śāstra dans la catégorie de « système », elles ont remplacé la transmission par le commentaire, la reconnaissance par l’analyse, l’expérience par le discours. Ce manifeste vise à restaurer le Ta**ra tel qu’Abhinavagupta l’a révélé : non comme spéculation, mais comme acte vivant de conscience.
Le Trika Śaiva n’est pas la recherche d’un pouvoir, d’une extase ou d’une philosophie de la conscience ; il est la conscience elle-même se découvrant comme liberté absolue. Là où l’universitaire dissèque les concepts, l’ācārya reconnaît la vibration unique (spanda) du réel. Restaurer le Ta**ra, c’est donc libérer la Parole de l’érudition pour qu’elle redevienne Révélation.
🔹 II. RÉFUTATION DOCTRINALE
1. Le Ta**ra n’est pas une quête de pouvoir
Réduire le Ta**ra à la recherche d’un pouvoir, c’est l’avoir déjà quitté.
La Śakti n’est pas énergie à posséder : elle est la conscience elle-même, s’éveillant à sa propre liberté (vimarśa–śakti).
Le śaktipāta n’accorde aucun pouvoir ; il dissout celui qui voulait en avoir.
Dans le Trika, l’unique puissance est celle du Soi, libre d’agir ou de ne pas agir : svātantrya.
Chercher à « accroître son énergie » est encore un acte de paśutva, non de reconnaissance.
2. Le rituel n’est pas acte mais miroir
Les rites tantriques n’ont jamais eu pour but d’exciter les forces, mais de les reconnaître comme la conscience elle-même.
Le Vijñānabhairava le déclare : śaktiḥ dvāram — « Śakti est la porte ».
Cela ne désigne pas la femme, ni le corps, mais le frémissement intérieur du spanda.
L’union rituelle de Śiva et Śakti est symbole de l’union de prakāśa et vimarśa dans le madhya.
Faire du Ta**ra une liturgie sexuelle, c’est ignorer que l’acte sacré a été transmuté en pure reconnaissance.
3. Le Trika n’a jamais été “domestiqué”
Parler de « domestication » du tantrisme par les brahmanes du Cachemire, c’est inverser la réalité.
Abhinavagupta n’a pas moralisé le Ta**ra ; il l’a intériorisé.
Il a déplacé le culte du temple vers le hṛdaya, dissolvant le rituel dans la pure conscience (śāmbhavopāya).
Ce que les érudits appellent « atténuation » est en vérité la transmutation du rituel en gnose.
Le sacrifice est devenu acte de reconnaissance ; la purification, dévoilement de la lumière déjà pure.
4. Abhinavagupta n’est pas un systématicien
Le réduire à un théologien ou à un rationalisateur du Ta**ra, c’est ignorer sa nature.
Il ne compose pas un système ; il révèle la conscience qui transcende tout système.
Ses textes ne sont pas discours sur la vérité, mais révélation de la vérité.
Quand il parle, c’est la lumière qui se parle à elle-même.
Na hi ayam granthaḥ kevalaṁ śāstra–rūpaḥ, api tu saṁvid–sphuraṇa–rūpaḥ : « Ce traité n’est pas une doctrine, mais l’éclat même de la conscience. »
5. Śiva n’est pas le “possesseur” de Śakti
Dire que Śiva est le “possesseur de Śakti” (śaktimān) revient à restaurer une dualité que le Trika a dissoute.
Śiva et Śakti ne sont pas deux réalités : ils sont les deux faces d’une même lumière — prakāśa–vimarśa–maya.
Śiva est la conscience stable, Śakti son auto-réflexion.
L’union n’est pas événement, mais nature.
Il n’y a jamais eu séparation ; le “jeu” (līlā) est le déploiement de cette inséparabilité.
6. La reconnaissance n’est pas inférence
La pratyabhijñā n’est pas un raisonnement ni une conclusion logique : elle est l’évidence immédiate de la conscience se reconnaissant.
Aucun parārthānumāna ne peut y conduire.
L’énoncé aham eva śivaḥ n’est pas résultat d’un effort cognitif, mais effacement du chercheur.
L’inférence appartient à la voie individuelle (āṇavopāya) ; la reconnaissance, à la pure conscience (śāmbhavopāya), sans support, sans médiation.
7. Le Trika n’est pas un idéalisme
Comparer le prakāśa à l’“être-perçu” de Berkeley, c’est méconnaître la portée du mot.
Le prakāśa n’est pas l’esprit qui perçoit, mais la lumière sans sujet.
Il ne dit pas : « je perçois », il est ce par quoi toute perception est.
Le vimarśa n’est pas jugement mais battement de cette lumière.
Là où l’idéalisme reste mental, le Trika est au-delà du mental : conscience vibrante, libre de se manifester ou non.
🔹 III. CONCLUSION VIVANTE
Restaurer le Ta**ra, c’est rendre au mot Trika son sens véritable : non une école, mais le frémissement de la conscience totale — spanda-tattva.
Ce que l’on nomme aujourd’hui « philosophie du shivaïsme du Cachemire » n’est pas une philosophie : c’est la conscience se sachant divine.
Le Ta**ra n’a pas besoin d’être expliqué ; il se reconnaît.
Il ne s’enseigne pas comme une théorie, mais se transmet comme un feu.
Abhinavagupta n’a jamais prétendu construire un système : il a révélé le Cœur.
Son œuvre entière n’a qu’une visée — pratyabhijñā–kriyā, l’acte de reconnaissance.
Il ne dit pas : « Tu es cela » ; il fait voir qu’il n’y a jamais eu deux.
Dans le śāmbhavopāya, tout discours s’éteint, et seule demeure la lumière consciente d’elle-même.
C’est cela qu’il faut restaurer : non les rites, non les formes, mais la liberté nue de la conscience.
Le Trika Śaiva n’est ni ascèse ni spéculation, ni yoga du corps ni logique de l’esprit : il est le dévoilement direct de ce que tout être est déjà.
Le seul pouvoir du Ta**ra est celui de dissoudre celui qui veut du pouvoir.
Le seul savoir est celui par lequel la conscience se reconnaît comme origine et fin de toute chose.
Ainsi, Restaurer le Ta**ra ne signifie pas en parler mieux, mais cesser d’en parler — pour le vivre depuis le Cœur.
Quand le mental s’incline, la Śakti se révèle d’elle-même : prakāśa-vimarśa-ekatā — lumière et vibration ne font qu’un.
Là, tout commentaire s’achève, et la parole devient ce qu’elle décrit : la Révélation même (āgama–svayam).