06/12/2025
Violence institutionnelle et désagrégation des métacadres : brève lecture psychanalytique contemporaine
La thèse de Helder Camara conserve une actualité troublante à l’ère des guerres hybrides, des violences diffuses et de la gouvernementalité par le chaos. Il ne s’agit plus seulement de violences visibles, spectaculaires, mais de violences structurelles, intégrées aux dispositifs mêmes qui organisent la vie collective. La violence institutionnelle ne se contente pas d’encadrer : elle fabrique des formes de subjectivation marquées par l’atteinte du lien, la disqualification symbolique et l’érosion des enveloppes contenantes du social. (...)
Ce qui se donne à voir aujourd’hui, c’est une transformation du conflit social en opération de désubjectivation massive. La violence législative, relayée par l’appareil bureaucratique, fabrique de la honte, de l’humiliation, du sentiment d’insignifiance. Elle installe, à la suite de ce que j’ai déjà pu nommer dans mes travaux, une clinique de la maltraitance institutionnelle, une violence où le sujet est contraint d’habiter un monde qui ne reconnaît ni sa souffrance ni sa dignité, tout en exigeant de lui qu’il demeure silencieux, pacifié, conforme.
Le paradoxe devient alors central : ce n’est pas la parole pacifique qui est entendue, mais l’irruption du corps dans l’espace public, la violence comme ultime modalité d’existence symbolique. Des milliers de manifestants pacifiques ne produisent aucun effet ; quelques scènes de violence font reculer le pouvoir. Ce mécanisme signe la faillite des métacadres de médiation, la disparition des espaces tiers où le conflit pouvait être symbolisé sans basculer dans l’agir.
Nous assistons à un véritable retournement pervers du lien social : placer les sujets dans des conditions matérielles et symboliques intenables, organiser le vide, l’attente, le mépris, puis transformer la colère qu’on a soi-même engendrée en preuve de leur monstruosité. La victime, disqualifiée comme sujet politique, devient agresseur, fauteur de troubles, ennemi intérieur. Ce que la psychanalyse désigne comme perversion n’est plus ici seulement une structure individuelle, mais une perversion de masse (...)