21/09/2025
Je la voyais tous les jours depuis ma fenêtre. À seize heures précises, comme un rituel, elle s’asseyait sur son perron, vêtue d’une robe impeccablement repassée, les cheveux coiffés, et ce rouge à lèvres vif qui était devenu sa signature. Elle passait un mouchoir sur ses mains tremblantes… et attendait. Toujours, elle attendait.
Je lui faisais un signe de loin. Parfois elle me souriait, parfois non — comme si son esprit voyageait ailleurs, très loin en arrière.
Un après-midi, je suis allée la voir avec une tasse de thé.
— Vous sortez, Doña Elvira ?
— Mon fils m’a dit qu’il viendrait cette fois. Il m’emmènerait prendre un goûter… Ils font des petits gâteaux au citron délicieux, tu sais. — Elle m’a répondu, timide et pleine d’espoir.
La pâtisserie avait fermé depuis trois ans. Je n’ai pas eu le cœur de le lui dire.
Ce jour-là, personne n’est venu. Ni le lendemain. Ni les jours suivants. Jusqu’au vendredi où je ne l’ai pas vue descendre. Inquiète, j’ai frappé à sa porte. Elle m’a ouverte en bigoudis, les yeux rougis.
— Je vais bien, je me suis juste endormie… Quelle honte. — Elle a balbutié en s’ajustant son peignoir.
Elle n’allait pas bien. Cette nuit-là, j’ai pleuré. Le lendemain, j’ai pris une décision.
— Doña Elvira ? — je lui ai dit en frappant à sa porte, vêtue de mes plus beaux habits. — Vous venez prendre le thé avec moi ?
Elle m’a regardée, surprise, comme si elle n’avait pas compris.
— Vous dites ?
— Allons goûter. C’est moi qui vous invite. Vous êtes ravissante, ce serait un crime de laisser ce maquillage se perdre.
Ses yeux se sont remplis de larmes. Elle a murmuré : « Il y a si longtemps que personne ne m’a invitée… » Je lui ai souri : — Il était temps.
Nous sommes allées prendre un goûter. Elle m’a parlé de sa jeunesse, de sa première robe en dentelle, des chansons qu’elle chantait pour son fils. Je ne sais pas si elle m’a remerciée avec des mots, mais la manière dont elle m’a regardée — pleine de vie, pour la première fois depuis longtemps — m’a suffi.
Depuis, chaque vendredi est à nous. Même si son fils ne vient toujours pas, elle continue de se pomponner. Mais ce n’est plus pour lui. Maintenant, c’est pour elle. Et un peu, aussi, pour moi.