27/11/2025
Il y a encore tellement de progrès à faire.... Mais cela va déjà dans le bon sens
Violences sexistes et intrafamiliales
53 mesures pour un arsenal renforcé : l’État passe à l’offensive, mais les moyens suivront-ils ? Un bilan détaillé du projet de loi-cadre et du contexte alarmant
En ce 25 novembre 2025, Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, le gouvernement dévoile enfin le projet de loi-cadre tant attendu. Face à un bilan qui donne le vertige – environ 152 féminicides depuis janvier, soit une femme tuée tous les deux jours –, les associations féministes saluent l’ambition mais exigent des crédits à la hauteur du drame. Retour sur un texte transpartisan qui vise à combler les failles d’un système judiciaire souvent impuissant, tout en élargissant la protection aux mineurs.
Ce n’était plus une rumeur : le projet de loi-cadre contre les violences sexistes et intrafamiliales est officiellement « prêt ». Déposé le 24 novembre auprès d’Emmanuel Macron et du Premier ministre Sébastien Lecornu, ce texte porté par la ministre déléguée à l’Égalité femmes-hommes, Aurore Bergé, regroupe 53 mesures législatives autour d’un mot d’ordre clair : « mieux former, mieux détecter, mieux prévenir, mieux caractériser et mieux sanctionner ». Un cadre global qui englobe pour la première fois les violences contre les enfants et s’appuie sur la proposition transpartisane déposée le même jour à l’Assemblée par la députée socialiste Céline Thiébault-Martinez et 109 autres parlementaires (78 articles, coût estimé à près de 3 milliards d’euros, fruit d’un an de travaux avec la « coalition féministe pour une loi intégrale » regroupant des dizaines d’organisations).
« Il faut que les bourreaux aient peur, parce qu’aujourd’hui, ils n’ont pas peur », martèle Aurore Bergé dans une interview à l’AFP. Le constat est brutal : 152 féminicides depuis le 1er janvier selon (définition large incluant tous contextes de genre), 87 selon le Collectif Féminicides par compagnons ou ex (conjugaux uniquement). Et le 20 novembre seul, quatre femmes ont été tuées. « Chaque féminicide est un échec collectif », reconnaît la ministre… avant d’ajouter que « beaucoup de mesures sont déployables immédiatement sans budget supplémentaire ». Un argument qui fait bondir les associations, alors que les signalements de violences sexuelles ont explosé de 282 % entre 2017 et 2023, sans progression équivalente de la réponse pénale – plus de 90 % des viols classés sans suite.
Ce projet s’inscrit dans la lignée du Grenelle contre les violences conjugales de 2019, qui avait promis 54 mesures (52 mises en œuvre en 2025, dont le doublement des places d’hébergement dédiées de 5 100 à 11 000, et 6 565 téléphones grave danger actifs). Mais six ans plus t**d, les féminicides stagnent (107 en 2024, +11 % sur 2023), et l’ONU alerte : 50 000 féminicides mondiaux en 2024 (137 par jour, 60 % dans la sphère privée, Afrique : 22 000), sans « véritable baisse » malgré les engagements globaux.
Le dépôt de plainte enfin humain : briser le cercle vicieux des revictimisations
Accès inconditionnel à l’aide juridictionnelle pour toutes les victimes de violences intrafamiliales ou sexuelles, comblant une faille actuelle où des milliers de plaintes sont rejetées faute de ressources.
Présence de l’avocat lors des examens médicaux (pour éviter les questions revictimantes et intrusives qui rouvrent les plaies).
Enregistrement systématique du premier témoignage afin d’éviter les répétitions épuisantes – un fardeau qui décourage 70 % des plaignantes selon les associations, technique déjà testée dans certains parquets.
Motivation obligatoire de tout classement sans suite + droit de recours pour les plaignantes, afin qu’elles « comprennent pourquoi il n’y a pas eu de suite judiciaire » et puissent contester.
Ces avancées répondent à un cri du cœur des magistrats : en 2024, une recrudescence de 15 % des signalements de violences sexuelles sur mineurs a été notée à Paris seul, avec quinze enquêtes ouvertes depuis janvier selon la procureure Lisa-Lou Wipf, cheffe du parquet des mineurs. « Il y a un déni massif », alerte-t-elle dans Libération, soulignant que ces réformes pourraient « renouveler tous les ans » les vérifications pour briser l’impunité, particulièrement dans le périscolaire où « quasi exclusivement des animateurs » sont visés.
Le contrôle coercitif enfin reconnu : nommer les violences invisibles
Le texte caractérise enfin pénalement le contrôle coercitif, ce mécanisme insidieux au cœur de 80 % des féminicides : interdiction d’ouvrir un compte bancaire pour priver d’autonomie financière, traçage GPS pour surveiller les moindres déplacements, implantation d’une puce téléphonique pour espionner appels et messages, ou contrôle obsessionnel des fréquentations et sorties. Des « humiliations » quotidiennes qui emprisonnent sans traces physiques, théorisé par le sociologue Evan Stark en 2007 comme un « crime de liberté ». Inspiré des modèles écossais et anglais, la mesure transforme ces actes cumulatifs – reconnus par le Sénat en avril 2025 comme un « système de domination » – en infractions aggravantes, punissables de 3 à 14 ans de prison et 45 000 € d’amende.
« Être victime, ce n’est pas forcément avoir des bleus ou subir un viol conjugal ; c’est aussi être sous contrôle », insiste Bergé. En 2024, 42 % des 1 579 victimes de proxénétisme étaient mineures, un fléau amplifié par ces violences psychologiques et économiques.
Proxénétisme numérique : OnlyFans dans le viseur, un coup de filet inédit
Les managers de plateformes comme OnlyFans – qui gèrent comptes, promotions et commissions sur contenus érotiques monétisés – pourront être requalifiés en proxénètes, même sans contact physique, alignant le droit sur la réalité d’un business qui exploite des milliers de femmes via interactions virtuelles. Cette mesure, saluée par les collectifs abolitionnistes comme Face à l’Inceste, vise à « appréhender par le droit » des pratiques émergentes trop longtemps occultées. La loi pourrait interdire ces « formes de prostitution numérique », comme le réclament les pétitions contre MYM et OnlyFans pour accès mineurs (art. 227-24 Code pénal).
Protéger les enfants : un bouclier renforcé contre l’inceste et les prédateurs
Imprescriptibilité civile des crimes sexuels sur mineurs (réparation possible à vie, malgré délais pénaux de 30 ans depuis 2018, jusqu’à 48 ans), réclamée par la CIIVISE et le Parlement européen – débats vifs au Sénat pour éviter « l’impunité des ogres ».
Interdiction immédiate de tout droit de visite ou contact avec l’auteur dès l’ouverture d’une enquête pour inceste, brisant le « droit de l’ogre » qui maintient les enfants dans la proximité du danger.
Contrôle annuel du casier judiciaire et du FIJAIS (fichier des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes) pour tous les professionnels en contact avec des enfants, y compris vacataires, stagiaires, intérimaires ou contractuels – l’attestation d’honorabilité, généralisée en 2025 après pilote en 2024 (93 000 demandes, 435 refus), comblera la faille des écoles maternelles et primaires.
Entretien annuel individuel dès la maternelle (3 victimes par classe en moyenne), parcours de soins coordonnés, et interdiction de résidence alternée chez un parent violent.
À Paris, la procureure Lisa-Lou Wipf a ouvert quinze enquêtes depuis janvier 2025 pour des faits commis par des animateurs périscolaires. « Il y a un déni massif », alerte-t-elle, notant une « recrudescence importante » due à une meilleure détection mais aussi à un « regard affûté » des parents. En 2025, 30 animateurs suspendus (16 pour suspicions sexuelles), stable mais alarmant.
Le monde ne va pas mieux : un fléau mondial et un héritage du Grenelle 2019
L’ONU Femmes et l’ONUDC alertent : 50 000 féminicides en 2024 (137 par jour, 60 % dans la sphère privée, Afrique : 22 000), stagnation malgré engagements. En France, le Grenelle 2019 (54 mesures, 52 réalisées) a doublé les hébergements (5 100 à 11 000 places), déployé 6 565 téléphones grave danger (5 200 actifs), et porté les intervenants sociaux à 500 (de 349 en 2020). Mais les féminicides stagnent (107 en 2024, +11 %), et 90 % des viols classés sans suite persistent.
Un texte ambitieux, mais sans budget clair : l’urgence d’une mobilisation collective
Ce projet, fruit d’un « travail avec l’ensemble des groupes parlementaires », vise à consolider les « couches successives » depuis 2019, en intégrant prévention (formation policiers/gendarmes/magistrats) et sanction (peines dissuasives jusqu’à 14 ans). Mais face à 160 000 mineurs victimes annuels, les critiques fusent : « Les mesures réglementaires ne suffisent pas ; il faut des fonds pour les déployer », insistent France Victimes et . Bergé n’exclut pas « plus de moyens », mais sans chiffrage – alors que le coût de la proposition Thiébault est de 3 milliards.
En ce 25 novembre, ce projet est un signal : la lutte contre les violences n’est plus un slogan, mais un impératif républicain. Reste à ce qu’il devienne une réalité tangible, loin des annonces électorales. Les victimes, et les enfants qui grandissent dans l’ombre de la peur, n’attendent plus.
Sources
AFP/Libération ; Le Monde ; France Info ; Ouest-France ; CNews ; Le Figaro ; La Nouvelle République ; RMC/BFMTV ; RTL ; Orange Actu ; Midi Libre ; 20 Minutes ; Actu.fr ; WeKa ; ; Collectif Féminicides ; ONU Femmes/ONUDC ; Libération ; LCP ; Solidarités.gouv ; Sénat ; France Info ; Ouest-France ; RMC/BFMTV ; Égalité-femmes-hommes.gouv ; Collectif Féminicides.
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