13/07/2025
L'appartement est endormi.
Le temps, figé.
La vie, finie.
Le tourne disque s'est tu, il y a une vie d'ado, même si la mamie est partie il y a peu.
L'appartement était déserté depuis trop longtemps.
Les objets, les pensées, la volonté de mouvement sont restés emprisonnés dans un autre espace temps. Les odeurs demeurent.
Qu'il est difficile de faire le deuil d'une enfance, d'une vie où l'on a été tant aimé, tant chéri...
Certaines personnes nous donnent tellement d'amour que lorsqu'ils disparaissent, nous aimerions garder leur chez-eux inchangé. Comme si, ainsi, nous pouvions capturer à jamais ce qu'ils nous ont offert de précieux, ce que nous cherchons tous avec avidité à posséder sur cette Terre : l'Amour inconditionnel.
J'ai moi même vécu cette expérience.
La maison de vacances de ma grand-mère était un refuge sacré.
J'aurais voulu la laisser à jamais inchangée. L'escalier en pierre, l'évier d'origine avec sa sortie sur l'extérieur. Oh doux souvenir que celui de récupérer cette eau mousseuse, celle qui sort quand mamie fait la vaisselle du midi. Nous en avions impérativement besoin pour nettoyer notre propre vaisselle. Celle du restaurant de boue et de pommes pourries pour lequel nous oeuvrions inlassablement entre cousins chaque été. Nous avions une cliente de marque, incontournable, qui venait patiemment manger toute la journée dans ce restaurant trois étoiles où nous étions tous en train de travailler, les cheveux en bataille, en culotte.
Ma mamie.
Ah le bonheur...
Comme beaucoup de femmes de son âge, mère et fille de famille nombreuse, mamie n'avait jamais été une tendre. Pour personne.
Mais elle était MON socle secure. Celle qui jamais ne faillissait. Ancrée. Présente avec force !
J'ai pleuré sa mort et je la pleure encore. Plusieurs années après.
Et je me souviens avec tendresse de sa maison, de la maison de campagne.
Des balades chantées, main dans la main, de sa voix aiguë qui chantait des chansons de son enfance dont les paroles m'échappent. L'émotion reste, souvenir bien lové au fond de mon cœur, de mon ventre peut-être.
Les années sont passées, ses objets ont été répartis, son odeur évaporée, ses meubles dispersés, les tapisseries arrachées.
Mais sans mamie, quel était l'intérêt de tout garder...
Et pourtant, au cœur de mon cœur, tout est là, la bataille entre cousins, avec les coussins du canapé, en cachette pendant qu'elle n'était pas là pour nous gronder. "Ce n'est pas moi mamie, c'est Nana et Adri !".
Mon papi qui m'embrasse dans le lit superposé tous les mardi soirs : "Bonne nuit ma cocotte".
La boîte de Pépito avalée chaque soir devant la télé à la sortie du collège en attendant l'arrivée de ma maman...
Ma mamie qui berce MES enfants dans son fauteuil en me parlant de sa vie de mère.
Et sa voix encore "greli grelo, combien j'ai de pierres dans mon sabot" à mes enfants devenus grands...
Tous ces moments précieux sont inscrits en moi.
Ils ont fait la Marylène que je suis.
Et là, assise au milieu d'un salon figé, celui d'une mamie aimante, mais pas la mienne, je sens, je vois, je comprends le drama familial "il faut vider l'appartement !", "NON, surtout pas !"
Je sais, au-delà du voile apparent, le déchirement de laisser à jamais partir le lieu où l'amour a été.
Je dis souvent que les lieux ont une âme.
Les objets aussi.
Mais la vie est mouvement. Toutes les choses vivent et meurent.
L'eau stagnante devient croupie. Aussi belle ait été la mare au départ. Si la vie ne s'y fait pas, l'eau va devenir un marais purulent.
Le souvenir aura beau être présent. Il sera juste un magnifique cliché à chérir.
Le cycle de vie est ainsi. Chaque jour, une mort et une renaissance.
Nous devrions faire pareil avec les souvenirs. Laisser mourir ceux qui ne nourrissent pas, laisser renaître régulièrement ceux qui nous permettent d'avancer avec joie sur le chemin périlleux que nous marchons. En chantant d'une voix aiguë peut-être... Et si ça émerveille un enfant ? Ce serait ça, réussir sa vie !
Je sais, "nous devrions" c'est facile à dire, un peu moins à mettre en œuvre.
Dans le silence matinal, de cet appartement pétrifié, le temps n'existe pas.
Je vois, sans le souvenir, je n'y étais pas : la vie se jouer avec amour, 40 ans en arrière...
Et dans le présent, l'air est chargé, les objets, témoins immuables d'une vie passée sont nombreux, serrés. C'est beau, certes . Mais objectivement, personne ne veut vivre aujourd'hui de cette manière. On étouffe.
Il faut impérativement ouvrir les fenêtres, laisser la place au vent du renouveau.
Il va être intense et chavirer à la manière d'un drame familial qui ne durera j'espère pas, comme une mini tornade qui vient casser les branches fragiles d'un arbre... Pour laisser la place aux plus jeunes de s'expanser.
Alors, dans ce lieu, rempli d'âme, dont j'ai tant entendu parler et dans lequel je pose mes pieds pour la première fois, j'honore ce qui a été, je remercie.
Et je prie pour tout ceux pour qui c'est difficile.
Et je vois, mamie Gi. Qui les entourent d'amour.
Elle m'apparaît, sa voie chevrotante que j'ai entendu en vidéo. Puis plus jeune, en train de sourir. Heureuse, elle a mené une très très longue vie. Maintenant, elle a retrouvé son mari.
Ensemble, ils veillent.
Quand la grande faucheuse s'en vient, nous nous devons, nous, vivants, de pleurer ce qui a été, aussi longtemps que de besoin.
Et nous avons aussi le devoir impératif d'honorer nos morts en continuant de vivre. En continuant d'aimer, en ouvrant les fenêtres, en laissant entrer l'air, nouveau, rempli de promesses d'un avenir brillant, joyeux et non figé.
La Vie et l'amour sont vivants, mouvants, divins.
Il nous incombe à nous, les adultes survivants, la responsabilité d'honorer ce qui nous a été donné, de le choyer et de le faire vibrer à notre tour ...
Puissions-nous tous avoir assez de force et de résilience pour y parvenir.
Et je sais, qu'en nous connectant avec ferveur à nos anciens, nous y parviendrons.