16/11/2025
Sortie blanche : quand l’ambulancier fait éviter l’hôpital
On l’appelle « sortie blanche », « laissé sur place » ou « intervention sans transport ».
Concrètement : l’équipe d’ambulanciers se déplace, évalue, rassure, soigne si nécessaire (pansement, contrôle glycémie, relevage, conseil…), et suggère au médecin régulateur qu’un passage aux urgences n’apporterait rien de mieux. Le patient reste chez lui, orienté vers un suivi adapté si besoin (médecin traitant, IDE, SAS, pharmacien, famille etc.).
Pourquoi l’hôpital y gagne :
Des passages évités : en 2024, la France a compté environ 21,3 millions de passages aux urgences (+2,5 % vs 2023). Chaque passage évité, c’est un box libéré, des délais qui baissent, et moins de saturation pour les vrais urgents.
Un coût collectif important : la Cour des comptes chiffre à 5,597 milliards d’€ le coût total de la médecine d’urgence pour 2023 (dont 5,312 Md€ à la charge de l’Assurance maladie). À titre d’ordre de grandeur, la dépense de l’Assurance maladie par passage dans des urgences privées avoisine 178 € (honoraires inclus). Même si le coût unitaire varie selon les cas et établissements, on voit bien l’intérêt d’éviter des passages inutiles.
Pourquoi le patient y gagne :
Moins de stress et d’attente : la médiane de temps passé aux urgences dépasse 3 heures, et 15 % des patients y restent plus de 8 heures (36 % chez les ≥ 75 ans). Rester à domicile quand c’est sûr et pertinent, c’est souvent mieux vécu.
Lisibilité financière : depuis 2022, un passage aux urgences non suivi d’hospitalisation expose le patient au forfait patient urgences (FPU) de 19,61 € (montant fixe, sauf minoration/exonération). Éviter l’ED, c’est aussi éviter ce reste à charge.
Pourquoi le métier d’ambulancier y gagne :
Chaque « sortie blanche » est un acte clinique : évaluation, décision, soins, prévention, orientation. C’est l’ambulancier acteur du soin à domicile, pas (plus) seulement « transporteur ». Ce rôle est au cœur du transport urgent pré-hospitalier (TUPH/UPH) et de la régulation : on sécurise la personne, on évite une iatrogénie du passage aux urgences, on met en place du suivi (appel à J+1, télé-conseil, relais IDE/libéral). C’est de la santé publique.
On décomplexe enfin le soins ambulancier sans plus penser « transport » mais « acte », « transporteurs » mais « soignants »
…mais le paradoxe économique côté entreprises ambulance
Le cadre actuel prévoit que l’intervention non suivie de transport (“sortie blanche”) soit rémunérée à un forfait de 80 €. C’est inscrit dans les textes (avenants conventionnels/arrêtés) et rappelé par l’Assurance maladie sur la page TUPH.
Problème : 80 €, c’est souvent en-dessous des coûts réels d’un déplacement d’équipe (binôme), surtout en heures « inconfortables » (nuit, WE), avec temps d’intervention long, remise en état du matériel, carburant, usure véhicule, temps de compte rendu/régulation, etc. Résultat : l’ambulancier crée de la valeur sanitaire (un passage aux urgences évité) sans que le modèle économique suive.
Ordre de grandeur illustratif (hypothèse prudente, je ne suis pas patron)
2 équipiers pendant 1 h 15 (trajet A/R 45 min + 30 min sur place)
Coût horaire complet par personne (charges, congés, astreinte, formation) : 25–30 € → ~60–75 €
Véhicule (amortissement, entretien, assurance, carburant) : ~15–25 €
Temps administratif/régulation (10–15 min cumulés) : ~5–10 €
➜ Total plausible : 80–110 € pour une situation courante… et plus si nuit/WE ou si l’intervention est longue/technique.
(Exemple pédagogique : les montants exacts varient selon entreprises/territoires.)
Pendant ce temps, un passage aux urgences évité épargne à l’Assurance maladie et aux établissements un coût beaucoup plus élevé (dotations, actes, ressources immobilisées). Même avec toutes les nuances méthodologiques, l’ordre de grandeur reste parlant : 80 € versés côté ambulance pour plusieurs centaines (milliers?) d’euros potentiellement évités côté hôpital/système.
Une revalorisation semble donc vitale pour nos entreprises.
À retenir
* La sortie blanche réduit la pression aux urgences tout en rassurant le patient à domicile.
* Elle valorise l’ambulancier comme acteur de la prévention et du soin.
* Le forfait de 80 € ne couvre souvent pas les coûts réels, alors même que l’économie système est potentiellement bien supérieure. Il y a là un levier de politique publique évident.
Attention : Votre responsabilité sera plus que jamais engagée lors d’un laissé sur place. Il est donc d’autant plus important de restituer au SAMU une fiche bilan détaillée en cas de litige.
La “sortie blanche”, c’est l’urgence du XXIe siècle :
soigner juste, au bon endroit, au bon moment, au bon coût — et pas forcément à l’hôpital.
Bastien