08/07/2022
Michel Vaujour : 27 ans en prison dont 17 en isolement total 24h/24 dans les quartiers de "haute sécurité" dans une pièce de neuf mètres quarrés sans fenêtre, avec la lumière des néons jours et nuit.
''Question : Comment vous êtes-vous retrouvé en prison ?
Michel Vaujour : Simplement, comme pour beaucoup de jeunes garçons avec une énergie anarchique : j'ai volé des voitures dans une ville de province grise où je m'ennuyais ferme, pour aller danser... J'ai été condamné bien au-delà de ce que j'aurais dû, à deux ans et demi de prison et cinq ans d'interdiction de séjour, ce qui était aberrant, une sorte d'exil. Peu après ma sortie, je me suis fait arrêter alors que je conduisais sans permis. Vue l'expérience que je venais d'avoir, je me suis sauvé. J'ai couru comme ça pendant trente ans, parce qu'à chaque fois qu'on m'arrêtait, je m'évadais ; et à chaque fois que j'étais repris, la peine était plus lourde. À 25 ans, j'avais déjà vingt-cinq ans de prison à faire ! Dans ma cellule du quartier de haute sécurité, j'ai découvert la solitude et le silence, 24 heures sur 24, pendant 17 ans. Je ne parlais pas avec les surveillants.
Q. Vous dites qu'alors, vous avez éradiqué toutes vos « faiblesses mentales ». De quelle manière avez-vous réussi à les dépasser ?
J'avais envie de mourir. Cet appel de la mort, je m'en suis servi comme dernier moyen pour m'en sortir. Il fallait contrôler cette impulsivité, cette non-maîtrise, qui m'avait amené jusque-là. J'ai découvert le yoga et je suis rentré dans un autre monde. Dans ma minuscule cellule, la lumière artificielle était omniprésente, j'étais cerné de béton et je ne voyais pas même le ciel. Un espace hors temps, hors tout. Le yoga et la méditation s'engouffrèrent dans le vide existentiel qu'était devenue ma vie et, au fil du temps, tout, absolument tout, devint yoga. De l'éveil, vers 5 h, jusqu'au coucher, je me vouais au yoga, comme d'autres en d'autres lieux de silence et de solitude se vouent à Dieu. Même en m'endormant, j'observais mon sommeil... Ce que j'ai compris dans le yoga et la méditation, c'est que cette ascèse, à haute dose, et bien employée, permet de se sculpter soi-même. Vous devenez ainsi ce vers quoi vous tendez. (...)
Ma cellule est devenue un lieu monacal. J'ai enlevé le matelas. Je me suis imposé une discipline stricte. Religion veut dire « relier ». Yoga, réunir. Ce n'est pas très loin. Je voulais aller plus loin qu'une gymnastique. Je désirais me battre et pousser très avant. Je me suis imposé un jour de jeûne par semaine. Pour que la nourriture ne soit pas mon maître. Pour que l'on ne puisse plus rien m'enlever. Plus t**d, j'ai fait une longue grève de la faim. C'est très instructif, on apprend beaucoup sur soi. Je n'ai accepté ni compromission ni distraction (surtout pas de télévision). Un mantra-yoga, c'est un peu comme une prière : il y a la même utilisation de la fixation de la pensée, qui permet la concentration.
J'ai pratiqué aussi la méditation, qui est le huitième niveau de la pratique du yoga. J'ai appris à être totalement dans la sensation.(...) Placé 17 ans à l'isolement, j'ai utilisé cette solitude pour avancer sur ce chemin monastique. Je me suis imposé une hygiène mentale et laissé « coloniser » par le yoga.
Q. Vous dites souvent que « tout ce qui est vivant se transforme ». En quoi est-ce important d'en prendre conscience ?
Sans cela, on a tendance à se figer, à s'enfermer dans une image flatteuse de nous-même, alors que tout ce que nous sommes est impermanent. De petit deuil en petit deuil de ce que nous croyons être, vient l'acceptation profonde de cette loi de la transformation, qui nous permet d'accueillir pleinement ce qui nous est offert, d'accomplir totalement notre chemin d'humanité et de mourir en paix. La seule chose qui nous appartienne, c'est la vie. Au-delà, je ne sais pas. Mais le simple fait d'être vivant est le miracle. Vivre cela fait de chaque jour un acte de grâce. Je ne sais pas de quoi sera fait l'avenir pour moi, mais jamais je ne cracherai sur la vie. Je crois, par ailleurs, que quand l'homme croit vraiment en quelque chose, qu'il le vit de tout son cœur, de toute son âme, de toutes ses forces dans l'ascèse, l'éthique, alors le suggestif s'incarne en lui. C'est une sculpture qui n'a de fin qu'à l'instant du mourir.
Q. En prison, vous étiez isolé, mais pas seul...
Jamais. Durant les cinq dernières années, j'ai entretenu une correspondance quotidienne de plusieurs heures avec une jeune visiteuse de prison, étudiante en droit à l'époque, qui est ensuite devenue ma femme. C'est elle qui m'a aussi permis de me remettre en question. Jusque-là, j'avais toujours vécu dans le rapport de force. Je ne m'étais jamais ouvert à qui que ce soit. J'ai commencé à échanger avec elle d'égal à égal et cela m'a amené à une véritable ouverture. À elle d'abord, puis le phénomène s'est élargi à tous. Elle m'a appris à dépasser ma petite personne, à sabrer mon ego. Sur le même principe de la transformation, j'ai détruit méthodiquement ce que j'avais construit précédemment, et ça m'a ouvert pleinement à la vie. Cette expérience m'a permis de comprendre que la pire des prisons est celle dans laquelle l'esprit peut s'enfermer, se figer et nous séparer du vivant, de la vie. S'évader de cette prison-là est la plus essentielle des évasions. Le lâcher-prise, l'acceptation profonde des différences, l'amour, en sont les clés.' (...)
L'amour, c'est le cœur de tout, c'est mon Graal. Il m'a forcé à dépasser ma petite personne. Jamais je n'aurais pensé parvenir à être ce que je suis aujourd'hui. Un être heureux, qui considère que la vie est un miracle. Ce que je suis aujourd'hui découle de ce que j'étais hier, donc je n'ai pas de regrets. Je ressens un bien-être, j'ai chaud à l'intérieur : c'est la vraie vie. Je ne regarde plus en arrière. Je profite de l'instant présent avec joie. (...)
J'ai compris, une fois sorti de prison, la nécessité absolue d'être en accord avec soi-même. De ne pas s'encombrer la tête avec des broutilles, des petits tracas. On ne sait plus accueillir ce qui nous est offert. On oublie trop le goût des choses. Moi j'ai redécouvert le goût de l'eau. Pour ceux qui en ont à volonté, elle peut paraître insipide. Pour ceux qui en ont manqué, elle a un goût fantastique. Personnellement, j'ai eu très soif. Aujourd'hui, j'aime et je vis pour être sans regret au moment de mourir."
http://mudita-art-yoga.blogspot.com/…/michel-vaujour-profes…
http://spinescent.blogspot.com/2018/10/temoignage-de-michel-vaujour.html
Extrait de son livre Ma Plus Belle Évasion :
"Il est six heures du matin et le ronronnement des premières voitures dit la ville qui s’éveille. Plus proches, la prison et le quartier de haute surveillance sont encore dans le silence. Dans la cellule, la lumière bleutée de la veilleuse de nuit inonde ma nudité en ce premier rendez-vous de la journée avec le yoga. Mais plus proche encore, au cœur de mon silence, plus rien de tout cela n’existe. Il n’est plus ni monde au-delà des murs, ni prison, ni haute surveillance, ni cellule, ni lumière, ni nudité, ni espace, ni temps. Il n’est plus que le souffle qui m’absorbe tout entier dans cette concentration si particulière du yoga qui consiste non pas en une tension « vers », mais dans l’effacement de tout ce qui n’est pas son objet. Il n’est plus que le souffle, mon souffle, porté par une des techniques millénaires du yoga. Il n’est plus que le rythme qui naît au profond des entrailles, qui s’y meurt pour renaître encore et encore. Par-delà ma vie qui ne ressemblait plus à rien, je suis vivant, et je le ressens avec une acuité de conscience que je n’ai jamais connue. »
Inspire… Expire… Inspire… Expire… Lentement… Lentement… Lentement…
Tout au long de la journée, je complète l’entraînement sportif que j’ai revu et corrigé par des séries d’asanas, des postures très précises du corps. Par-delà les bienfaits physiques, le véritable travail passe, là aussi, par l’effacement de tout ce qui n’est pas l’exercice en cours. Asanas signifie « postures aisées », ce qui, vu les contorsions nécessaires, semble assez paradoxal, mais cette dénomination reflète plutôt la manière d’y parvenir. Qui plus est, chaque asana contraint l’organisme à des modes respiratoires différents qui, eux aussi, doivent devenir aisés. Les aptitudes qui ont à s’exercer et à se développer dans ce travail pour apprendre à être à l’aise dans une position difficile m’apprennent à l’être tout autant face à l’adversité. Moi qui n’ai jamais fait d’études, je découvre une autre école, celle du silence, de l’application, celle des lois et de la vie qui m’animent. Le yoga devient un mode d’existence.
Inspire… Expire… Inspire… Expire… Lentement… Lentement… Lentement…
Le soir, dans le silence de la prison, les exercices respiratoires m’ouvrent au vide de la méditation. De la maîtrise du souffle découle la maîtrise des émotions, et de la maîtrise des émotions, le détachement. Un détachement qui laisse d’autant plus en pleine conscience que l’émotion n’est plus là pour le brouiller.
Inspire… Expire… Inspire… Expire… Lentement… Lentement… Lentement…
Le yoga imprégnait désormais tellement ma vie qu’il en vint à rejaillir sur ma pensée. Dans un quotidien silencieux et solitaire, une telle discipline vécue me fit naître à la pensée, à une pensée véritablement personnelle. Pour moi qui n’avais jamais été porté que par mes pulsions, un fatras de clichés et d’idées convenues, ce phénomène fut si surprenant que la première fois je crus entendre une voix tant cette pensée était claire et nette. Cette illumination m’entraîna à me confronter à moi-même, et j’ai commencé à réaliser le gâchis dans lequel j’avais entraîné ma vie.
https://www.inrees.com/articles/ma-plus-belle-evasion/
"J'ai compris, une fois sorti de prison, la nécessité absolue d'être en accord avec soi-même. De ne pas s'encombrer la tête avec des broutilles, des petits tracas. On ne sait plus accueillir ce qui nous est offert. On oublie trop le goût des choses. Moi j'ai redécouvert le goût de l'eau. Pour ceux qui en ont à volonté, elle peut paraître insipide. Pour ceux qui en ont manqué, elle a un goût fantastique. Personnellement, j'ai eu très soif. Aujourd'hui, j'aime et je vis pour être sans regret au moment de mourir."
http://spinescent.blogspot.com/2018/10/temoignage-de-michel-vaujour.html