11/05/2023
« Les niveaux de Conscience ou les revêtements de l'Être »
Partie 2 : les différents plans de l'incarnation
Il y a ainsi dans le vedanta deux classifications de ces niveaux, ce qu’on appelle les trois corps (ou sharirs) et les cinq revêtements (ou koshas), qui s'interpénètrent, en enveloppant l'âme comme les couches d'un oignon, de l’extérieur vers l’intérieur :
- le corps grossier (sthula sharir), Annamaya kosha ou corps physique
La couche la plus extérieure est ce corps fait de matière (ou de nourriture), est ce que nous avons de commun avec tous les autres corps physiques. Le « revêtement fait de matière » est le plus extérieur, et correspond exactement au corps physique. Toutes les matières, les éléments (carbone, oxygène, hydrogène, etc) qui composent l’univers se trouvent, fût-ce à l’état de trace, dans le corps humain, qui en est composé et qui, par conséquent, devra un jour se décomposer. Ce « corps grossier », c’est donc ce que l’être humain a de commun avec toute la nature, tout le monde physique sans exception. Non seulement il est fait des éléments que nous prenons de la terre, mais aussi, ultimement, il redeviendra nourriture pour d'autres créatures.
Emboîté dans le corps physique, l'interpénétrant et le transcendant se trouvent les trois couches du corps subtil.
- le corps subtil (sukshma sharir)
Le corps subtil comprend l'énergie, le mental et l'intelligence, et correspond à :
- pranamaya kosha ou corps d'énergie. Cette enveloppe est en commun avec les plantes : les végétaux ont un corps physique et sont vivants. L’enveloppe faite de prana, se nourrit d’énergie, notamment à travers la respiration. Ce revêtement anime le corps physique. Et c’est à travers ce revêtement que le corps physique entre en relation avec manomaya kosha, le revêtement fait de mental.
- manomaya kosha ou revêtement fait de mental et d'émotions
C’est l’instrument privilégié de l’ego, le moi individualisé, limité. « L’homme, en tant qu’animal, partage avec les animaux quatre activités : manger, dormir, s’accoupler et avoir peur. » Manomaya kosha fonctionne toujours en fonction de « ce que j’aime » et de « ce que je n’aime pas », en fonction de « ce qui m’attire » et « ce qui me repousse ». Tant qu’il y a identification à ce revêtement, il y a peur, parce qu’il y a limitation, distinction de moi et tout ce qui n’est pas moi. Tout ce qui n’est pas moi peut m’être favorable mais aussi défavorable.
On y trouve également la mémoire, Chitta. C’est le réceptacle de toutes les expériences qui nous ont marqués, de tous les souvenirs agréables ou désagréables qui nous ont façonnés et à travers lesquels nous vivons le présent et entrevoyons le futur. Tous ceux qui ont essayé de méditer, de faire le silence ou le vide en eux pour s’ouvrir à la paix des profondeurs, ont pu observer qu’ils étaient harcelés par les associations d’idées et les distractions. Le mental ne peut pas s’arrêter de penser, parce qu’il est l’expression d’une source profonde qui se trouve dans cette mémoire. Chitta inclut ce que les psychologues modernes ont redécouvert sous le nom d’Inconscient. Tant que cette source non assumée, non intégrée, non rendue consciente, est là, il est impossible de ne pas être agité intérieurement. Dans les souvenirs accumulés dans cette mémoire, il n’y a pas de vieillissement. Le temps n’existe pas, le souvenir est là, intact. Mais, à la plus grande partie de cette mémoire, vous n’avez pas normalement accès. À ce niveau de manomaya kosha, il n’y a pas d'action libre, il n’y a que réaction, parce qu’on est obligé d’agir par les impulsions qu’on porte en soi-même.
Par un long et difficile travail, qui doit être mené méthodiquement, habilement, selon des connaissances bien prouvées, il est possible de dépasser l’identification à ce niveau de manomaya kosha, du mental et des émotions qui sont liés au fonctionnement de chitta, Ce que les hindous appellent les vasanas et les samskaras. Samskara signifie les impressions, les traces laissées dans le psychisme par toute expérience. Les impressions qui nous ont marqués déterminent ensuite en nous les tendances latentes, tendances à retrouver les expériences heureuses et à éviter coûte que coûte les expériences malheureuses. C’est par ce mécanisme que nous vivons prisonniers du passé. Nous vivons le présent à travers le passé, nous ne sommes jamais dans la plénitude du "ici et maintenant". Vasana vient de la racine VAS, qui veut dire subsister. Le sens est proche de celui de samskara. On peut le traduire par les désirs latents dans les profondeurs et leur autre face de refus, donc de peur. Les vasanas sont des dispositions mentales et émotionnelles qui agissent comme des germes et ont tendance à se manifester en actions. Ils sont appelés à disparaître au cours de la sadhana.
La véritable éducation, c’est l’éducation émotionnelle : un adulte peut ressentir avec son coeur les réalités de l’existence, mais non pas être emporté par des émotions qui lui enlèvent sa disponibilité et sa lucidité. Dans les yama et niyama, prescriptions éthiques de la tradition védique, vous trouvez l’égalité d’humeur, c’est-à-dire l’absence d’émotion.
- Vijnanamaya kosha ou corps de connaissance.
À l’intérieur de ce revêtement se trouve une autre enveloppe, composée d’intelligence, qui fait le lien entre le corps subtil et le corps causal. Vijnana, c’est l’intelligence objective, scientifique. Par manas les hommes vivent chacun dans un monde différent ; par vijnana, ils vivent tous dans le même monde. Quand manonasha, la destruction du mental, a été opérée, la conscience peut se situer librement au plan de l’intelligence objective, qui ne fonctionne plus selon mes goûts, mes dégoûts, mes attractions, mes répulsions, selon ce qui « devrait être », mais simplement selon ce qui « est ». Buddhi signifie l’Intelligence supérieure, l’Intelligence réelle, intuitive. C'est elle qui « fait le pont » entre l'élément purement matériel du composé humain (corps et pensée) et le principe unique (Atman). Quand les émotions ont disparu, le sentiment (qui accepte pleinement que, d’instant en instant, ce qui est soit) est un instrument de connaissance. Sentiment impersonnel par lequel je ne vis plus dans mon monde mais dans le monde et par lequel je suis réellement en communication avec l’apparence, la surface, le monde des phénomènes. Vijnanamaya kosha implique un sentiment qui est toujours positif, jamais négatif, qui ne refuse jamais, toujours en accord avec le monde phénoménal tel qu’il est d’instant en instant. Quand ma conscience d’être est située à ce niveau, la pensée peut s’arrêter.
- le corps causal (karana sharir), Anandamaya kosha, le revêtement fait de béatitude.
Le corps causal peut être compris de deux façons : d’abord comme point de départ de l’involution, c’est-à-dire de la descente dans la multiplicité, dans le conflit, dans la soumission au temps et à la causalité. Le terme « corps causal » signifie alors que ce corps est la cause de tout ce qui va suivre, la cause de l’incarnation, la cause de l’emprisonnement de l’Atman dans la dualité, les contradictions et la souffrance. Au contraire, si on envisage le corps causal comme le point de retour en direction du Soi, la dernière étape avant la disparition de toutes les limitations, le mot causal prend alors un sens différent. Cela signifie que la cause réelle de notre comportement, de nos actions, nous la portons en nous-mêmes, et non plus dans les chocs extérieurs, les stimuli qui déclenchent les émotions, lesquelles déclenchent le fonctionnement du mental, et mènent un être humain non transformé exactement comme les fils d’un marionnettiste. À ce kosha le plus intérieur, le revêtement le plus proche de l’Atman, correspond le corps causal. Par le silence de l’intelligence, il ne reste plus que la pure conscience de soi et le sentiment de soi, qui est pure béatitude. C’est l’ultime kosha. L’accès à ce kosha devrait être notre privilège, si notre conscience est libre de circuler à travers les différents revêtements, libre de se détacher de la conscience du corps physique, de l’identification au revêtement fait d’énergie ou de vitalité, de l’identification au revêtement fait de mental et de l’identification au revêtement fait d’intelligence. À ce moment-là subsiste une conscience individualisée qui relève encore de la conscience limitée. Ce n’est pas encore la réalisation de l’Atman, mais c’est une conscience qui est non affectée.
Si nous envisageons ces koshas et ces corps depuis le niveau le plus grossier, le plus matériel et le plus limité jusqu’au niveau le plus subtil, ils apparaissent non plus comme le point de départ de la chute dans la multiplicité, non plus comme le point de départ de l’incarnation mais comme les différentes étapes d’un retour vers l’Atman. La pure Conscience qui s’exprime simplement par « Je Suis », à condition de n’ajouter aucun attribut, s’identifie à ces revêtements. Elle est emprisonnée dans ces différents revêtements. Ces revêtements sont les identifications ou les attributs que nous rajoutons au pur « Je Suis », à la pure Conscience d’être qui, elle, est par essence indestructible, inaltérable, non affectée, donc libre de tout désir d’une part, de toute peur d’autre part. Et si vous considérez ceux-ci comme les points d’appui d’une démarche extrêmement précise de libération, vous pouvez voir toute la valeur concrète et pratique de cette théorie védantique. Si on regarde attentivement les différentes techniques spirituelles que les principales traditions nous ont léguées, on peut très bien les situer tous par rapport à ces différents niveaux. Ils communiquent les uns avec les autres et influent les uns sur les autres. Cette influence se fait soit de l’extérieur vers l’intérieur – soit c’est le corps qui commande et il n’y a pas de liberté – soit de l’intérieur vers l’extérieur – c’est l’être réel, la buddhi qui commande et il y a liberté, il y a conscience.