07/12/2021
Souffrance au travail et burn out
Marie Pezé, docteur en psychologie et psychanalyste, a depuis le début de sa carrière été confrontée à la souffrance au travail. Mais l'acception a évolué au fil du temps.
Jusqu'aux années 80, la souffrance au travail, c'était surtout des accidents du travail, une main coupée par une tronçonneuse par exemple, avec un "patron" plus ou moins effrayé, soit pour son employé, soit dans la crainte de la classification de l'accident en tant que tel.
C'est à partir des années 80 que l'organisation même du travail entre dans les cabinets des psychologues, avec un afflux de personnes souffrant de douleurs moins visibles : des douleurs neuropathiques et chroniques, dues à l'usage de machines trop puissantes ou à la mise en place de gestes répétitifs.
Puis, dans les années 85-90, de nombreuses femmes sont arrivées dans les consultations de chirurgie de la main (caissières, femmes de ménage), lasses, épuisées, vieillies prématurément par un travail fastidieux.
Marie Pezé se penche alors sur l'importance de la reconnaissance du travail, sur sa centralité dans la construction de l'identité, avec l'aide de Christophe Dejours, directeur de la chaire de psychodynamique du travail (Institut de psychosomatique). Travailler, ce n'est pas seulement produire, mais se produire, gagner sa vie, se loger et se nourrir. Le lieu du vivre ensemble et de la solidarité, encore ? Ou le lieu de la solitude au milieu de la multitude, du chacun pour soi, déjà ?
"Trouver un travail qui nous sied, qui nous plaît, qui correspond à notre personnalité, qui nous permet d'aller gratter les cicatrices de l'enfance, de les réparer, de les dépasser, d'en faire quelque chose d'important et d'utile, c'est vital pour l'être humain. Être reconnu, pour ce travail, l'exécuter dans les valeurs morales qui sont les nôtres, avec la conscience professionnelle qui caractérise le salarié français et n'est pas encore une maladie, c'est important. C'est un outil d'émancipation sociale. Même la personne la plus disqualifiée en apparence investit des valeurs de beau, de bon, de correct…"
Dans les années 90-95 arrivent en consultation des cadres de la Défense et autres caissières de supermarché, de petits employés de mairie, qui présentent des tableaux de temps de guerre ou d'attentats (peur dans les yeux, cauchemars donc insomnies, évitements phobiques). On est loin des pathologies TMS (troubles musculo-squelettiques). Ce sont les victimes de harcèlement. Harcèlement souvent lié à de nouvelles organisations (désorganisations ?) du travail où la compétence est jugée comme dangereuse, empêchant la course en avant et la soumission hiérarchique et où chacun est transformé en novice en étant placé à des postes ne correspondant pas à ses compétences et isolé de ses pairs en changeant régulièrement d'équipe.
Puis, après la vague des salariés harcelés, arrive celle des salariés épuisés...
On ne peut pas répondre à la problématique du burn out par la seule psychologie individuelle. Il y a des enjeux économiques : s'arrêter, c'est risquer de perdre son travail. Démissionner, c'est risquer de perdre ses droits sociaux… Il y a des enjeux biologiques : le corps que nous investissons au travail n'est pas celui rêvé par certains managers, il a besoin de moments de sommeil et de répit pour un retour des sécrétions hormonales à la normale.
Est-ce la modification des conditions de travail qui entraîne la situation, ou la soi-disant fragilité des victimes ? Quid des notions de responsabilité, de solidarité, du silence et de la peur collective qui les entourent ?
Autant d'éléments qu'il va falloir aborder en douceur pour aider les victimes à prendre du recul, renoncer à la culpabilité et à la "perfection" impossible, se dégager d'injonctions contradictoires, s'affirmer, s'estimer à nouveau… se reconstruire