06/10/2025
Magnifique texte d’une maman aidante. Merci 🙏 ♥️
Je vous partage en cette journée nationale des aidants mon témoignage envoyé à Les bobos à la ferme pour les témoignages les Z en or 2023.
Aujourd'hui et demain, leurs portes sont ouvertes pour ce WE dédié à la journée nationale. N'hésitez pas ! Ils méritent d'etre connus, encouragés, aidés et applaudis !
"Celle qui rêvait de ne pas connaître la définition d'aidant"
Lorsque le handicap s'est invité chez moi, je n'ai pas compris tout de suite ce qui m'arrivait. Qui était cet invité qui mangeait à ma table, prenait la meilleure place sur le canapé, nous suivait partout où nous allions, dormait (ou ne dormait pas) en même temps que moi, planait au dessus de nos têtes et dans toutes les conversations ? Il s'est tellement bien installé, qu'il s'est fondu en nous et nous en lui.
Il a eu l'audace de reprogrammer totalement ma façon de penser et d'agir, ce que 39 années n'avaient pas réussi à faire. Balayées les idées si bêtes qu'on a la même normalité, éradiqué le monde du rond qui ne peut rentrer que dans un rond. C'est fort, c'est puissant, ça fiche une sacrée claque, ça remet bien à sa place, ça règle à vie le leurre du : ça ne m'arrivera pas... à moi.
Il a eu cette témérité de m'offrir une nouvelle vision, à 360°, me laissant découvrir avec stupeur ce monde que j'avais ignoré, laissé pour compte, regardé parfois sans vrai intérêt sinon avec un peu d'empathie.
Il a étoffé mon vocabulaire qui pourtant déjà bien fourni s'est affublé de termes scientifiques, médicaux me laissant parfois l'impression d'être dans la profession. Nystagmus, anomalie chromosomique, hypotonie, epicantus pour mon petit Robin mais aussi gastrostomie, autiste asperger, syndrome de west pour d'autres... Le handicap dans sa grande mansuétude, permet d'ouvrir des portes inconnues vers d'autres mondes et de nous faire s'y intéresser même si ce n'est pas le nôtre. Comme un besoin de rattraper le temps... Comme pour s'excuser d'avoir zappé 180° de monde. Un réseau s'élargit alors dans notre vie quand celui d'"avant" se réduit ou s'appauvrit...
Le handicap devient un koh lanta à lui seul.
On passe d'abord l'épreuve du deuil de l'enfant normal. Il est impossible de gagner cette épreuve si on se met a réfléchir un peu trop ou qu'on se compare aux autres. On passe alors les épreuves des ascenseurs émotionnels entre les différentes annonces, les déceptions mais surtout les petites victoires qui se transforment en quête du Graal et qui sont si bonnes pour le moral.
L'épreuve de faire comme si tout était normal et possible en vacances ou lors d'une sortie est pas mal non plus, elle nous renvoie bien l'incapacité de faire comme les autres...
Mais la pire épreuve c'est sans conteste celle de la peur de perdre son enfant lorsque le handicap menace sa santé. C'est la plus cruelle, la plus injuste, la plus insoutenable.
L'épreuve cachée, celle dont on tait l'existence, c'est de parvenir à ne pas penser à l'après, quand on ne sera plus là. C'est aussi se mot-dire/maudire quand on pense de façon insensée qu'on devrait partir en même temps.
Alors quand un jour le terme aidant est évoqué, on s'y refuse. On se dit qu'un aidant s'occupe à temps plein ou presque de quelqu'un de dépendant. Au départ, nous on voulait être parents. Finalement, on l'est. Bon une version plus développée, sublimée serait même poétique voire élogieux. On liste ce qu'on fait, un peu éducateur, un peu orthophoniste, un peu infirmier, un peu secrétaire, un peu taxi, un peu avocat voire défenseur des droits. Ça fait beaucoup de un peu finalement...
En dressant cette liste de un peu, on réalise. On baisse les yeux sur nos chaussures émoussées par les pas dans les couloirs d'un camsp ou d'un hôpital, on regarde le jean qu'on porte qui a remplacé la robe de femme active ou le costume de futur cadre, on jette un regard sur nos mains dont la peau est plus fine, dont les ongles ne sont pas manucurés, on regarde notre ventre en pensant à notre moral, on se demande quand on s'est dit des mots doux et réconfortants à soi même pour la dernière fois, on entend son cœur battre (oui il bat mais pas un peu vite ? De toute façon c'est compliqué de voir un cardiologue on verra ça plus t**d)... Et on lève enfin la tête, face au miroir. On voit enfin de qui on parle quand on parle d'aidant. De quelqu'un qui s'est oublié beaucoup, qui a avancé tête baissée par amour, par dépit, pour ne pas tomber. Quelqu'un qui a vieilli, qui était sûrement plus apprêté avant mais qui a gagné une certaine maturité et résilience, et ça a son charme aussi non ? Quelqu'un qui a besoin de reconnaissance même si la plus belle c'est sûrement celle de son enfant dit "différent". Et c'est sûrement la plus grande, la plus grisante, la plus extraordinaire que l'on peut souhaiter à tout être humain.
Je finirais avec cette citation d'Einstein :
"La vie c'est comme une bicyclette, il faut avancer pour ne pas perdre l'équilibre"
Alors si j'ai un souhait à faire en tant qu'aidante pas encore aidée, c'est que je suis prête à avancer encore longtemps et à mon rythme mais je ne suis pas contre qu'on mette des petites roues à ma bicyclette ou qu'on aplatisse les collines et qu'on rase quelques montagnes pour m'aider...
Frédérique, maman de Robin.