04/12/2025
Novak ...Lâhistoire dâune rencontre.
Lâhistoire dâun chien rescapĂ© de Roumanie.
Le 11 novembre, jâai publiĂ© un article intitulĂ© « Quand la vie choisit Ă travers nous ».
Jây parlais de ces moments oĂč la raison nous retient, oĂč tout invite Ă rester dans ce que lâon connaĂźt, alors quâun mouvement plus profond rĂ©siste, insiste, pousse Ă avancer.
Ce que je ne vous disais pas, câest que pendant que jâĂ©crivais ce texte, jâĂ©tais en plein dedans. DĂ©chirĂ©e entre la logique, la peur de sortir de ma zone de confort, et un Ă©lan intĂ©rieur que je nâarrivais pas Ă faire taire.
Ce choix avait une histoire, un regard, et quelque chose qui mâa appelĂ©e sans que je comprenne pourquoi.
Ce choix sâappelait Novak.
Un chien venu de Roumanie.
DâoĂč vient Novak?
Pour comprendre ce chien, il faut comprendre son pays.
En Roumanie, la prĂ©sence massive de chiens errants nâest pas un hasard ni une simple nĂ©gligence. Elle vient directement de lâhistoire politique du pays. Ă la fin des annĂ©es 1970 et au dĂ©but des annĂ©es 1980, sous la dictature de CeauÈescu, dâimmenses quartiers ont Ă©tĂ© rasĂ©s pour construire des blocs dâappartements standardisĂ©s. Les familles ont Ă©tĂ© relogĂ©es de force dans ces immeubles oĂč les chiens Ă©taient interdits. Des milliers dâanimaux domestiques ont Ă©tĂ© laissĂ©s dehors. Ils se sont reproduits dans la rue.
Pendant des dĂ©cennies, il nây a eu aucune politique nationale de stĂ©rilisation. Les municipalitĂ©s ont laissĂ© la situation exploser. Les portĂ©es se sont succĂ©dĂ©. Et les chiens errants sont devenus une donnĂ©e du paysage urbain.
Dans ce contexte, le chien de rue nâest pas perçu comme un compagnon, mais comme un problĂšme sanitaire ou un nuisible. On apprend aux enfants, dĂšs le plus jeune Ăąge, Ă les chasser, souvent Ă coups de pierres, parce que câest ce quâon leur montre. Et de nombreux adultes, dans certaines rĂ©gions, les maltraitent ouvertement, non par accident, mais parce que cela est culturellement acceptĂ©.
Pour gĂ©rer la surpopulation, lâĂtat a mis en place des Ă©quipes de capture, les dogcatchers, payĂ©s au chien attrapĂ©. Les chiens sont envoyĂ©s dans des fourriĂšres publiques oĂč les conditions sont extrĂȘmes : surpopulation, absence de soins, faim, maladies, froid, absence totale dâhygiĂšne. Les ONG rapportent rĂ©guliĂšrement des cas de chiens battus, pendus, tuĂ©s Ă coups de pelle ou laissĂ©s Ă lâagonie.
Il faut le dire clairement : ce dispositif nâa rien dâun systĂšme de protection animale. Câest seulement une politique de gestion administrative du vivant, dont lâobjectif est de vider les rues des chiens, quelle quâen soit la maniĂšre.
Dans ces conditions, un chien nâapprend pas la confiance ; il apprend Ă survivre.
Et cet apprentissage dĂ©passe lâindividu. Depuis quarante ans, il existe un hĂ©ritage comportemental : des chiens qui naissent dans lâhypervigilance, la fuite, la prudence extrĂȘme. Ils nâont pas besoin de vivre un traumatisme personnel ; ils naissent dĂ©jĂ traumatisĂ©s, parce que lâenvironnement depuis plusieurs gĂ©nĂ©rations leur enseigne que lâhumain est une menace.
La résistance : ces refuges qui se battent pour chaque vie
Heureusement, il existe en Roumanie une autre force :celle des femmes et des hommes qui ont décidé de ne pas détourner les yeux.
Câest le cas du refuge dâAlina & Anda, lâun des plus respectĂ©s du pays.
Elles rĂ©cupĂšrent des chiens partout :dans les rues, dans les fossĂ©s, devant les magasins, dans les fourriĂšres oĂč ils nâont plus aucune chance.
Elles vivent avec 350 à 400 chiens à sauver, nourrir, soigner, sécuriser.Elles sont souvent débordées, toujours épuisées, mais elles tiennent.
Parce que pour elles, une vie est une vie.
Et câest lĂ que des associations comme CĂ©lestia entrent en jeu : elles font le lien entre ces refuges roumains et des familles en France, Belgique, Suisse, Luxembourg et Pays-Bas capables dâoffrir un vrai foyer.
Câest de lĂ que vient Novak.
La suite de son parcours en France nâa pas Ă©tĂ© simple, et la premiĂšre adoption a malheureusement ajoutĂ© une couche de fragilitĂ© Ă ce quâil portait dĂ©jĂ .
Une premiĂšre adoption qui lâa encore fragilisĂ©, un rappel essentiel
Quand Novak est arrivé dans sa premiÚre famille, il était dans un état de sidération profonde, une forme de détresse acquise.
La dĂ©tresse acquise vient du fait quâau fil des expĂ©riences, le chien comprend que quoi quâil fasse, il est en danger. Quâil essaye de fuir, dâappeler Ă lâaide ou de se cacher, il finit par apprendre que cela nâa aucun effet. Alors il arrĂȘte dâessayer. Il vit dans un profond dĂ©sespoir, Ă©teignant peu Ă peu tout ce qui pourrait le relier au monde.
Lâenvironnement dans lequel il a Ă©tĂ© placĂ© Ă©tait inadaptĂ© Ă un chien dans cet Ă©tat-lĂ . Ce nâest pas que la personne Ă©tait mal intentionnĂ©e. Elle Ă©tait certainement pleine de bonne volontĂ©, mais ce nâĂ©tait pas une adoption suffisamment lucide ou consciente.
Pour ces chiens-là , la bonne volonté ne suffit pas.
Ils ont besoin dâun cadre calme, de rĂ©gularitĂ©, dâune comprĂ©hension fine de leurs besoins, parfois dâun accompagnement par des personnes expĂ©rimentĂ©es ou des professionnels.
Accueillir un chien roumain demande un engagement réel, de la patience, de la connaissance, et une vraie préparation.
Et parfois, malgrĂ© des dĂ©marches sĂ©rieuses en amont, certaines adoptions ne se passent pas bien. Dans le cas de Novak, non seulement son Ă©tat sâest aggravĂ©, mais il sâest retrouvĂ© confrontĂ© Ă quelque chose de plus violent encore : la personne, dĂ©passĂ©e, sâen est dĂ©barrassĂ©e comme on se dĂ©barrasse dâun problĂšme. Pas comme on prend soin dâun ĂȘtre vivant, encore moins dâun ĂȘtre traumatisĂ© qui dĂ©pend entiĂšrement de nous.
Cela a créé un effondrement supplémentaire pour lui.
Il a fallu trouver une solution en urgence, car un chien dans cet Ă©tat ne peut pas ĂȘtre laissĂ© sans prise en charge et il Ă©tait impensable quâil retourne en Roumanie.
Câest dans cette urgence-lĂ que l'association CĂ©lestia a dĂ» intervenir de nouveau pour le mettre en sĂ©curitĂ©.
Ingrid : celle qui lui a offert une transition juste, et qui mâa appris Ă lire Novak
Novak a alors Ă©tĂ© confiĂ© Ă Ingrid, famille dâaccueil expĂ©rimentĂ©e de CĂ©lestia.
Et cette rencontre a été déterminante.
Ingrid comprend ces chiens-là avec une précision et une douceur rares.
Elle observe avec patience.
Elle Ă©coute avant dâagir.
Elle respecte la peur au lieu dâessayer de la corriger.
Avec ces chiens traumatisés, elle ne force rien.
Elle laisse le choix, laisse lâespace, laisse le temps.
Avec Novak, elle a repris les toutes premiĂšres bases dont il avait besoin pour se stabiliser un peu : une routine simple, des gestes cohĂ©rents, une prĂ©visibilitĂ© totale, la libertĂ© dâavancer ou de sâĂ©loigner Ă son rythme. Pas de prouesses, pas de âtechniques miraclesâ. Juste une justesse dans chaque petit geste rĂ©pĂ©tĂ©.
Et câest dans ces gestes-lĂ , invisibles pour la plupart des gens, que Novak a connu lâextraordinaire : un espace oĂč il nâĂ©tait plus obligĂ© de se dĂ©fendre.
Les chiens dâIngrid, ses assistants poilus, ont jouĂ© un rĂŽle essentiel.
Ils lui ont montrĂ© que lâhumain peut ĂȘtre fiable, doux, stable.
Ils lui ont offert un modĂšle de relation quâil nâavait jamais connu.
Lors de nos Ă©changes, elle mâa appris Ă regarder diffĂ©remment.
Elle mâa appris les signaux dâapaisement, les micro-« non », les micro-« oui », les nuances minuscules qui disent tout chez un chien traumatisĂ©.
Elle mâa transmis des ressources, des lectures, des pistes pour comprendre les bases du langage canin, ces clĂ©s simples mais essentielles qui changent tout.
Je nâavais jamais Ă©tĂ© confrontĂ©e Ă un chien traumatisĂ© comme Novak.
Je nâĂ©tais pas consciente de mon ignorance.
Et câest lĂ que quelque chose a commencĂ© Ă bouger pour moi.
DerniĂšrement, Ingrid mâa transmis une phrase qui a profondĂ©ment rĂ©sonnĂ© pour moi :
« Les chiens ont un moyen unique de trouver les personnes qui ont besoin dâeux et de remplir un vide que nous ne savions pas exister. »
Avec Novak, jâai compris Ă quel point câĂ©tait vrai.
â Ce que Novak rĂ©vĂšle en moi
Avec Novak, jâapprends autrement.
Ce quâil mâapporte nâa rien dâune jolie leçon de patience .
Câest plus intime, plus vrai, parfois mĂȘme dĂ©stabilisant, parce quâil me renvoie Ă des endroits de moi que jâavais laissĂ©s de cĂŽtĂ©.
Depuis des annĂ©es, jâai avancĂ© avec force et luciditĂ©, mais aussi avec une certaine duretĂ© envers moi-mĂȘme.
Jâai tenu debout coĂ»te que coĂ»te, mĂȘme quand tout en moi demandait de lĂącher.
Par peur.
Par habitude de porter et de âfaire avecâ.
Par loyautĂ© envers ceux que jâaime.
Par nécessité, aussi.
Ă force, on finit par ne plus entendre ce qui se passe en soi.
On finit par perdre ses repÚres, par passer à cÎté de soi, parfois longtemps.
On finit mĂȘme par se nier.
Ce nâest ni un manque de conscience ni de courage.
Câest une maniĂšre dâavancer pour ne pas sâĂ©crouler.
Mais cela a un coĂ»t : celui de sâoublier, de perdre l'Ă©quilibre.
Et puis Novak est arrivé.
Un chien qui ne cache rien, en perpétuel hypervigilance.
Sa fragilité a fait écho à la mienne.
Sa peur a rĂ©veillĂ© ce que jâavais laissĂ© de cĂŽtĂ©.
Sa retenue mâa forcĂ©e Ă voir ce que jâavais nĂ©gligĂ©.
Sa sensibilitĂ© mâa renvoyĂ©e Ă la mienne.
Dans son regard, jâai reconnu une sensibilitĂ© proche de la mienne, une force douce et retenue.
Avec lui, jâai dĂ» apprendre Ă ralentir, Ă Ă©couter autrement, Ă rĂ©pondre avec ma prĂ©sence plutĂŽt quâavec mon mental.
Je comprends aujourdâhui que jâentre dans un nouveau cycle : un mouvement qui demande de respecter mes limites, de ne plus me renier, de ne plus Ă©touffer ce qui tremble en moi sous prĂ©texte dâĂȘtre forte ou disponible.
Novak mâaide Ă rĂ©apprendre cela :
une présence qui ne se sacrifie plus,
une Ă©coute qui ne sâefface plus,
un soin de lâautre qui ne doit jamais coĂ»ter le soin de soi.
Le sens de son prénom, Novak
Jâai dĂ©couvert que Novak veut dire « le nouveau », « celui qui arrive », « celui qui ouvre un autre chapitre ».
Câest un nom qui parle de recommencement, dâun nouveau dĂ©part possible, mĂȘme quand on vient de loin, mĂȘme quand on a connu lâabandon et la maltraitance, mĂȘme quand la vie nous a mis Ă lâĂ©preuve dĂšs le dĂ©part.
Et moi aussi, jâĂ©tais dans un moment de transition, de rĂ©organisation.
Tout se dĂ©plaçait, tout demandait Ă ĂȘtre revu autrement.
Le sens de son prĂ©nom nâavait rien dâun signe Ă©trange : il a simplement confirmĂ© ce que je ressentais dĂ©jĂ , sans rĂ©ussir Ă le manifester clairement.
Je nâai pas choisi son nom.
Il sâest imposĂ© comme une Ă©vidence.
Et aujourdâhui, il reflĂšte ce quâil apporte dans ma vie : une autre maniĂšre dâavancer, un nouveau chapitre, une façon plus juste dâĂȘtre prĂ©sente Ă moi-mĂȘme, mais aussi Ă lui.
Parce que ce chemin nâest pas seulement le mien.
Câest le nĂŽtre.
Novak trouve sa place, et moi je trouve une maniÚre différente de me tenir au monde.
Et au milieu de tout ça, il y a aussi Solly, Tchoupi et les cinq chats, notre petite tribu qui se réorganise autour de cette nouvelle présence.
Cela crée du mouvement, une nouvelle dynamique, un autre équilibre qui se cherche.
Chacun ajuste un peu sa place, et moi avec eux.
Quand je repense Ă ce qui mâa conduite jusquâĂ lui, je ne crois pas avoir vraiment âchoisiâ Novak.
Jâai plutĂŽt lâimpression que nos trajectoires se sont rejointes au moment prĂ©cis oĂč elles le pouvaient.
Aujourdâhui, cela fait presque trois semaines quâil est lĂ .
Et en si peu de temps, il a déjà fait des progrÚs immenses.
Il mange, il se repose, il sâautorise des Ă©lans, il cherche le contact.
Ingrid me lâavait dit : « Novak choisit ».
Et il mâa choisie, lui aussi.
Avec prudence, mais clairement.
Ce nâest pas lâhistoire dâun sauvetage.
Ce nâest pas celle dâune hĂ©roĂŻne.
Câest lâhistoire dâune rencontre.
Celle dâun ĂȘtre vivant qui a traversĂ© lâeffroi,
et dâune femme qui avait besoin de bouger les lignes pour enfin habiter sa vie autrement.
Novak nâa pas seulement trouvĂ© un foyer.
Il a ouvert un chapitre que je nâaurais jamais Ă©crit seule.
Et je crois que, moi aussi, dâune certaine façon, je suis devenue ânouvelleâ avec lui.
Conclusion :
On croit sauver un chien⊠puis on dĂ©couvre que câest lui qui nous sauve un peu
Novak vient dâun monde dur,mais il porte une lumiĂšre douce.
Il vient de lâinvisibilitĂ©,et pourtant il rĂ©vĂšle.
Il vient de la peur,et pourtant il mâapprend la confiance.
Il vient de la rue,et pourtant il ouvre un espace en moi que je nâavais pas encore explorĂ©.
Ce nâest pas une adoption. Câest une rencontre.
Une de celles que la vie place sur votre route parce quâelle sait trĂšs bien ce quâelle fait.
Et ce chien-lĂ , ce chien dĂ©licat, ce chien sensible ,ce chien que personne ne regardait vraimentâŠa ouvert une porte que je nâavais jamais osĂ© pousser seule.
Ce choix sâappelle Novak.
Et je crois profondĂ©mentque ce choix-lĂ , câest la vie qui lâa fait Ă travers moi.
Et si aujourdâhui je vous parle de lui, ce nâest pas seulement pour raconter notre histoire.
Câest aussi pour attirer lâattention sur tous ceux qui, comme lui, attendent encore une chance.
Parce que derriĂšre Novak, il y a des centaines dâautres vies.
â€ïžđ: Ă mes amis, merci Ă AngĂ©lique et Carlos dâavoir embarquĂ© avec moi dans cette aventure un peu f***e. Novak et moi, on ne lâoubliera pasâ€ïžđ
Appel aux dons
Lâhiver commence, et câest la pĂ©riode la plus difficile pour les chiens des rues en Roumanie et pour les refuges qui tentent de les sauver.
Le froid, la maladie, le manque de nourriture, les soins vĂ©tĂ©rinairesâŠ
Les besoins explosent Ă cette pĂ©riode de lâannĂ©e.
L'association Célestia fonctionne uniquement grùce à des bénévoles.
Pas de subventions.
Pas dâaides publiques.
Juste des femmes et des hommes qui donnent leur temps, leur énergie, leur argent personnel pour sauver des vies qui autrement seraient condamnées.
Jâai vu ce que leur engagement a permis pour Novak.
Et Ă mon niveau, jâaimerais contribuer Ă mon tour.
Si vous souhaitez les soutenir, mĂȘme modestement, voici leur lien officiel :
đ cagnotte-de-noel-2025
https://www.helloasso.com/associations/association-celestia/collectes/cagnotte-de-noel-2025
đhttps://www.facebook.com/RefugeDeAlinaEtAnda.SabineAdoptionChiensDeRoumanie
Un don, quel quâil soit, nourrit, soigne, rĂ©chauffe, transporte. Mais surtout⊠il donne une chance.
Parfois la seule chance quâils auront.
Merci, vraiment, pour celles et ceux qui prendront le temps dâaider.
Et merci dâavoir lu jusquâau bout.
Sandrine GourdyđŸđđâ€ïžđđđđ«¶