11/11/2025
PENSER L'ÉPANOUISSEMENT SEXUEL AU FÉMININ
Pourquoi les femmes devraient-elles concevoir leur épanouissement sexuel à l’image de celui des hommes ? Peut-on réellement s’épanouir sexuellement au féminin, sans se conformer aux modèles dominants issus d’une culture masculine ?
Depuis des décennies, les discours sur la sexualité — qu’ils viennent des experts, des médias ou parfois même de la sexologie — recyclent des clichés persistants : l’homme, prisonnier de ses pulsions, serait naturellement porté à la conquête et à la domination, tandis que la femme, guidée par son besoin d’attachement et de protection, accepterait le sexe par devoir ou stratégie relationnelle. Ces représentations archaïques continuent de structurer l’imaginaire collectif, maintenant la femme dans une opposition impossible : mère ou séductrice, aimante ou désirante, sage ou déviante.
Cette vision de la sexualité, encore très androcentrée, repose sur une définition de l’épanouissement sexuel pensée par et pour les hommes. Même les conquêtes du féminisme — nécessaires et précieuses — ont souvent dû s’appuyer sur un modèle d’autonomie construit à partir des références masculines : l’égalité des droits, certes, mais dans un monde dont les règles, les langages et les représentations ont été élaborés par les hommes depuis des millénaires.
Les racines biologiques et sociales d’un contrat ancien
Les différences entre hommes et femmes ont longtemps été justifiées par la biologie. On rappelait que, comme tout mammifère, l’être humain est programmé pour la reproduction. Mais réduire la sexualité humaine à cette fonction, c’est oublier l’immense dimension sociale, affective et symbolique du lien.
Chez l’humain, l’enfant naît particulièrement dépendant. Pour survivre, la mère a longtemps dû s’appuyer sur un partenaire capable d’assurer la subsistance et la protection du foyer. C’est de cette dépendance originelle qu’est né un contrat implicite entre les sexes :
« Si tu me protèges et me nourris, je t’offre mon corps et ma fidélité. »
Cet équilibre a façonné des millénaires de rapports de domination. L’homme, pour garantir la filiation et la transmission de son nom, a édicté des règles morales et religieuses qui enfermaient la femme dans le devoir, la chasteté et la soumission. Ce modèle s’est consolidé avec l’avènement de l’agriculture et des sociétés patriarcales, et continue encore d’imprégner nos structures familiales et nos imaginaires amoureux.
De l’asservissement à l’émancipation : des voies ambiguës
Les femmes qui ont cherché à s’affranchir de cette tutelle ont souvent dû le faire en utilisant les armes du système lui-même. De l’hétaïre antique à la courtisane moderne, beaucoup ont monnayé leur liberté grâce à leur pouvoir sur le désir masculin — au prix de leur corps, de leur maternité, parfois de leur vie. Cette fausse indépendance les a conduites à devenir elles-mêmes objet de commerce, prémisse d’un autre esclavage.
Aujourd’hui encore, la marchandisation du corps féminin perdure sous des formes plus subtiles : injonction à la séduction, culte de l’image, hypersexualisation médiatique. Les codes changent, mais le fond reste souvent le même : le corps de la femme demeure un territoire politique et économique.
Le paradoxe de l’émancipation
Le féminisme des années 1970 a ouvert la voie à une libération indispensable. L’accès au travail, la contraception, le droit à disposer de son corps ont transformé en profondeur la condition féminine. Mais cette conquête s’est parfois faite en adoptant les valeurs du modèle masculin : performance, compétitivité, pouvoir.
La pilule, symbole de liberté, a aussi renforcé une nouvelle contrainte : celle de devoir répondre au désir de l’autre sans risque de grossesse. La sexualité féminine s’est ainsi déplacée d’un contrôle social à un contrôle intérieur, souvent invisible mais toujours présent : l’obligation de désirer.
Deux modèles sexuels : le consumérisme masculin et le relationnel féminin
Deux grands modèles coexistent aujourd’hui :
• Le modèle masculin consumériste, fondé sur la recherche du plaisir immédiat, la performance, la conquête, la multiplicité des partenaires.
• Le modèle féminin relationnel, centré sur le lien, l’émotion, la réciprocité et la fusion amoureuse.
Le premier domine culturellement : il alimente l’industrie pornographique, influence la jeunesse et impose ses codes jusque dans les représentations féminines du désir. La femme « libérée » serait celle qui consomme le sexe comme un homme, équipée d’un sex-toy et d’une assurance affichée. Pourtant, ce modèle reste une imitation du masculin — et non une invention du féminin.
Le second modèle, plus subtil, repose sur l’émotion, la lenteur, la confiance et la symbolisation du plaisir. Il n’est pas moins intense, mais d’une autre nature : le désir s’y nourrit de sens, de partage, de reconnaissance mutuelle.
Mais pour que le modèle féminin puisse être respecté et reconnu comme une voie d’accomplissement à part entière, il est essentiel que la femme cesse, de reproduire souvent inconsciemment dans l’éducation du jeune garçon les schémas patriarcaux qu’elle déplore. Car c’est dès l’enfance que se transmettent les modèles de pouvoir, de désir et de relation. Tant que les mères valoriseront chez leurs fils la force, la compétition ou la conquête au détriment de la sensibilité, de l’écoute et de la coopération, elles contribueront malgré elles à perpétuer un modèle masculin dominant.
L’éducation du jeune mâle devrait au contraire intégrer la reconnaissance des émotions, le respect du corps de l’autre et la compréhension du plaisir partagé. C’est à cette condition que le modèle féminin pourra inspirer une nouvelle culture du lien, du respect et de l’amour.
Vers une nouvelle intelligence du plaisir
Le plaisir féminin ne peut se réduire à la stimulation d’un organe. Il s’inscrit dans une dynamique émotionnelle et relationnelle, où le corps devient le médium d’une rencontre. La sexualité, dans cette perspective, n’est plus un exutoire mais un langage.
L’homme, pour participer à cette expérience, doit dépasser le simple plaisir de l’éjaculation pour découvrir celui, plus profond, de la résonance : comme l’archet sur les cordes du violoncelle, le geste sexuel devient vibration partagée.
La femme, quant à elle, ne peut s’épanouir qu’en réconciliant son corps avec son imaginaire, en acceptant sa sensualité et sa puissance affective comme des expressions légitimes de son identité. Loin de la performance, l’épanouissement féminin réside dans la connaissance de soi, l’acceptation du désir, et la capacité d’habiter pleinement son corps.
Pour une réconciliation des modèles
Le modèle masculin, dans sa forme consumériste, a engendré de nombreuses dérives : frustrations, violences, pornographie, dissociation du corps et de l’émotion. Le modèle féminin, fondé sur le respect et la fusion amoureuse, propose une autre voie : celle d’une éthique du plaisir partagé, d’une sexualité consciente et responsable.
L’avenir de la relation entre les sexes ne réside pas dans la domination d’un modèle sur l’autre, mais dans leur alliance : la rencontre du désir et du sens, du corps et de la tendresse, de la pulsion et de la conscience.
C’est à cette condition que la sexualité humaine pourra devenir ce qu’elle est appelée à être : un espace de connaissance mutuelle, d’évolution et d’unité.
Chaque être humain porte en lui la trame d’information du vivant et de l’univers.
Sa pensée, sa sensibilité et sa conscience en sont des expressions singulières.
À travers le féminin, l’humanité apprend à transformer la force en douceur,
la conquête en rencontre, et le désir en lien.
Dr Patrice Cudicio, Mme Jasmine Saunier sexologue , hypnothérapeute, Paris