02/12/2025
💔❤️🩹❤️ Le vendeur de joie 💔❤️🩹❤️
Le conte en audio 💕🎙️ ici : https://www.youtube.com/watch?v=GaaZVBeZRvI
C’était un jour d’hiver, je m’en souvenais bien… les champs avaient enfilé leur manteau blanc, les gelées faisaient scintiller le paysage. ❄️☃️
Chez Grand’Ma, l’odeur de la cuisine cramée embaumait les pièces et je l’entendais encore pester d’avoir oublié ses plats dans le four.
Ah ça oui, l’odeur du cramé… c’était quelque chose d’assez habituel chez Grand’Ma.
Rien ne l’arrêtait lorsqu’elle nous racontait ses histoires.
C’était souvent au cœur de ses histoires qu’elle oubliait les plats dans le four.
Et ces histoires… c’était ce que j’aimais plus que tout.
Il y en avait une qui avait marqué mon cœur et mon esprit plus que toutes les autres, et j’entendais d’ici la voix rauque et chaleureuse de Grand’Ma la conter : c’était celle du vendeur de joie.
¨¨¨¨¨¨
C’était il y a des lustres.
Le vendeur de joie était connu pour ses pansements magiques.
De nombreuses personnes témoignaient avoir oublié ce qui les avait blessées après avoir rencontré le vendeur de joie.
Il avait, disait-on, le don de chasser tous les démons intérieurs, les peines de cœur, les grands chagrins… Il était connu pour redonner le sourire à celui ou celle qui passait entre ses mains.
Cette histoire courait de village en village, jusqu’au jour où… le vendeur de joie voyagea jusqu’au mien.
À cette époque, j’étais une jeune femme plutôt heureuse… enfin, c’est ce que je croyais.
Mais lorsque j’appris que le vendeur de joie s’était installé au village pour quelques jours, mes nuits devinrent agitées… et Léo, mon amour d’antan, revenait me hanter.
Un matin, alors que je me réveillais mélancolique, les larmes aux bords des yeux… je décidai d’aller observer le vendeur de joie.
Sa roulotte était à l’entrée du village, et plusieurs personnes faisaient la queue.
Je restai là un bon moment à scruter les visages des personnes qui ressortaient de la roulotte, le sourire aux lèvres.
Je laissai quelques jours passer, mais je savais que le vendeur de joie allait bientôt quitter le village et poursuivre sa route. Il fallait me décider.
Une nuit, je rêvai à nouveau de Léo, et ce rêve me décida à aller rencontrer le vendeur de joie.
Il n’y avait pas grand monde ce jour-là, et mon tour arriva.
Il m’invita à entrer dans sa roulotte où tout brillait de mille et unes pacotilles.
Rien n’avait vraiment l’air de valeur, mais cela restait joli à mes yeux et toutes ces couleurs rendaient l’endroit chaleureux.
Je m’assis et remarquai que ses bras étaient recouverts de pansements colorés. J’avais d’abord cru à un vêtement de type patchwork, mais non : c’était bel et bien des pièces de pansements collées les unes contre les autres.
« Il faut beaucoup de pansements lorsque les peines sont nombreuses », me dit-il avec le sourire.
« Qu’est-ce que c’est ? » lui demandai-je avec curiosité.
« Pour chaque peine, un pansement. Pour chaque souvenir qui fait mal, il y a un pansement pour oublier.
Voulez-vous me partager ce que vous aimeriez oublier ? »
« Vais-je devoir porter un pansement à vie si je décide d’apaiser un souvenir ? » demandai-je au vendeur de joie.
« Ah, ne vous en faites pas… Au fil du temps, le pansement s’en va lorsqu’il est entièrement parti, le souvenir de la douleur s’en va aussi.
La peine en question ne sera plus nulle part en vous. C’est comme si cela n’avait jamais existé. »
Un silence s’installa.
J’eus d’un coup froid dans le dos… voulais-je vraiment oublier Léo ? Est-ce que je ne préférais pas me réveiller parfois l’âme en peine… mais avec le souvenir d’avoir vécu cette histoire ?
D’un coup, je me souvins de mon amie Gabrielle qui, lorsque Léo était parti, m’avait réconfortée en me disant : « Ne pleure pas parce que c’est terminé, souris parce que ça a eu lieu.
Souris parce que ça a eu lieu… »
Le vendeur de joie me regarda et me demanda : « Qu’est-ce que vous aimeriez oublier ? Voulez-vous me le raconter ? »
« Eh bien… c’est une longue histoire, vous savez… »
« J’ai tout mon temps », répondit le vendeur de joie en vérifiant par la fenêtre de la roulotte. La nuit commençait à tomber, et il n’y avait plus personne dans la file.
Je soupirai un instant et commençai à lui raconter ma rencontre avec Léo.
Le feu passion qui se déclenchait dès qu’on se regardait, dès qu’on s’effleurait.
Un feu bien trop ardent pour se maintenir ainsi dans le temps.
Un feu qui avait dévoré le cœur de l’un comme de l’autre.
Un amour impossible… où l’on se demande : pourquoi ? Pourquoi cette rencontre ?
Le vendeur de joie semblait touché par mon histoire. Il regardait ses bras avec interrogation…
Je compris qu’il avait posé là de nombreux pansements pour oublier, lui aussi, un amour impossible.
Je lui pris la main et, au contact de celle-ci, je vis qu’il retrouvait un fragment de mémoire.
« Vous vous souvenez ? » lui demandai-je.
Il fronçait les sourcils, et je sentais dans sa main son cœur battre la chamade.
À cet instant, j’eus à la fois l’envie de le prendre dans mes bras et celle de retirer tous ses pansements… mais je ne fis rien de tout cela.
Ce moment hors du temps était intense : je m’en souviens comme si c’était hier.
Il y avait là nos peines, à l’un comme à l’autre… et nos deux cœurs abîmés par des histoires d’amour qui n’avaient pas duré.
Puis, le vendeur de joie se mit d’un coup à retirer un pansement de son bras, puis un second, puis un autre, jusqu’à découvrir ses deux bras.
Les larmes roulaient le long de ses joues, et je le voyais retrouver la mémoire à chaque pansement qu’il retirait, laissant libres des cicatrices que les pansements recouvraient auparavant.
« Si je puis me permettre… » dis-je, hésitante… « Il y a des cicatrices avec lesquelles, je crois, il est important d’apprendre à vivre.
Oublier certains événements de la vie nous ferait oublier qui nous sommes, d’où nous venons… et je crois profondément que ce sont ces cicatrices qui nous rendent si vivants. »
« Je crois que vous ne vendez pas la joie… vous vendez l’oubli.
Et entre nous… voulons-nous vraiment oublier ce qui nous a fait tant vibrer ? Certaines choses ne sont pas là pour durer mais pour être vécues.
Ne croyez-vous pas ? »
Le vendeur de joie me regarda avec compassion : il était à la fois soulagé et bouleversé… comme moi…
Mon amie me disait : « Ne pleure pas parce que ce n’est plus là, souris parce que ça a eu lieu… »
Sur ces mots, nous nous prîmes dans les bras tous les deux, laissant à la fois nos peines et nos joies déborder de nos cœurs.
Les émotions délivrées, la douceur remplit à nouveau l’espace.
Le vendeur de joie me regarda.
« Je m’appelle Ben », dit-il.
« Je préfère vous appeler ainsi, Ben… Le vendeur de joie, je trouve que cela ne vous allait pas », lui avouai-je, amusée.
Nous sourîmes tous les deux, et jusqu’au bout de la nuit nous découvrîmes comment chaque cicatrice avait façonné la personne que nous étions aujourd’hui.
Et toutes avaient leurs raisons d’être.
Ben ferma boutique et nous voyageâmes ensemble de contrée en contrée.
Je ne saurais décrire l’amour que Ben et moi vivions… Ce n’était pas un feu ardent, mais c’était délicieux, la plus belle expérience qui m’ait été donnée de vivre.
Cette histoire était peut-être le pansement dont nous avions besoin tous les deux.
Nos cicatrices devinrent nos forces, et nous les avons portées ensemble, longtemps… très longtemps…cinquante ans.
Mais je n’avais jamais oublié Léo.
J’avais aimé très grand Ben, plus que n’importe qui d’autre.
Aujourd’hui, il n’est plus là… mais il a laissé lui aussi une cicatrice que, pour rien au monde, je n’effacerais.
Cette histoire est un hommage à Léo, à Ben… et à nos cicatrices à tous.
Celles qui nous façonnent, celles qui nous donnent tout ce relief et cette profondeur.
Alors, à la question : faut-il tout guérir ?
Je crois qu’apprendre à vivre avec certaines cicatrices… c’est ça aussi guérir.
Dans chaque histoire, il y a quelque chose à retenir : pas le pire, mais le meilleur.
Merci à mon amie Gabrielle pour cette phrase qui a marqué mon existence : « Ne pleure pas parce que c’est fini, souris parce que ça a eu lieu. »
C’était peut-être ça, la signature d’une cicatrice…
La douceur qu’elle finira par laisser après la douleur.
Grand’Ma.
Je nous aime.
AuDreY. ❤