11/12/2025
« Sorties, regards, malaise : quand ils devraient “bien se tenir”, mais que l’orage est à l’intérieur »
On parle souvent des enfants TDAH, HP ou hypersensibles comme s’ils étaient « imprévisibles », « ingérables » ou « excessifs ».
Mais ce qu’on oublie de dire, c’est que bien souvent, leurs comportements les plus déroutants ne sont ni des caprices, ni un manque d’éducation, ni de la provocation volontaire.
Ce sont des réponses neurobiologiques à des situations nouvelles (ou non), chargées d’émotions, d’attentes implicites et de stimulations multiples. Face à un environnement inhabituel, socialement exigeant, bruyant, incertain, leur cerveau ne filtre pas l’information comme celui des autres.
Il est submergé. Et quand le cerveau est submergé, le comportement devient parfois incompréhensible… même pour l’enfant lui-même.
Les neurosciences sont très claires sur ce point : chez les enfants présentant un TDAH, une hypersensibilité ou un haut potentiel, les fonctions exécutives celles qui gèrent l’inhibition, la régulation émotionnelle, l’adaptation, la planification sont soit immatures, soit instables, soit suractivées.
Leur système nerveux capte tout, trop vite, trop fort, trop en même temps. Une nouveauté, une frustration, une attente, un changement de règle, un regard posé sur eux, une perte de repères… et tout peut basculer.
Le cerveau passe alors en mode survie : agitation, opposition, mutisme, provocation, grossièreté, retrait, débordement émotionnel. Ce ne sont pas des choix conscients.
Ce sont des mécanismes automatiques de protection.
Ce qui est le plus douloureux, c’est que ces réactions surgissent souvent dans des moments ordinaires de la vie sociale : une sortie, une fête, un magasin, un anniversaire, une activité sportive, un moment privilégié,...
Des lieux où l’on attend d’un enfant qu’il « se tienne bien », qu’il « s’adapte », qu’il « fasse comme les autres ». Alors l’écart devient visible. Et l’enfant devient « celui qui dérange », « celui qu’on évite d’inviter », « celui qu’on ne choisit pas dans l’équipe », « celui qui met mal à l’aise ou que l'on dit mal éduqué» .
Derrière ces comportements, il y a pourtant presque toujours une immense insécurité intérieure, une peur de perdre le contrôle, une surcharge émotionnelle, parfois une jalousie affective, parfois un sentiment d’exclusion anticipée, parfois simplement l’angoisse de ne pas savoir comment se comporter correctement.
Beaucoup de ces enfants veulent bien faire. Ils n’y arrivent pas.
Pour les parents, ces situations sont d’une violence silencieuse. Il y a la fatigue, bien sûr. Mais il y a surtout la honte, la peur du regard des autres, l’impression d’être jugé en permanence, le sentiment d’échec éducatif, parfois même l’envie de ne plus sortir pour éviter les scènes, les tensions, les remarques.
Certains parents finissent par s’isoler, non pas par choix, mais pour se protéger et protéger leur enfant du rejet social. Et cet isolement renforce encore la détresse de tous.
Pourtant, ces comportements ne sont pas une fatalité. Ils peuvent être anticipés, contenus, accompagnés.
La science nous montre que le cerveau de ces enfants a besoin de prévisibilité, de repères clairs, de sécurité émotionnelle, de stabilité, de temps de préparation et de décompression.
Préparer une sortie ou un événement, ce n’est pas « trop en faire ». C’est expliquer où l’on va, ce qui va se passer, combien de temps cela va durer, ce qu’on attend de l’enfant, ce qui sera difficile pour lui, ce qu’il peut faire s’il se sent débordé.
C’est poser un cadre rassurant avant même que l’angoisse ne monte.
C’est aussi accepter que certaines règles doivent être adaptées temporairement, non pas pour faire plaisir, mais pour éviter la saturation.
Après, le temps de retour est tout aussi essentiel. Non pas pour faire un procès du comportement, mais pour aider l’enfant à mettre des mots sur ce qu’il a ressenti, sur ce qui l’a envahi, sur ce qu’il n’a pas compris, sur ce qui l’a mis en difficulté.
Ce travail de verbalisation reconstruit peu à peu les circuits de régulation émotionnelle. Il permet à l’enfant de comprendre ce qui se passe en lui, au lieu de subir ses propres débordements. Et c’est là que la progression devient possible, sortie après sortie, expérience après expérience, moment après moment...
Ce qu’il faut comprendre, c’est que ces enfants ne manquent pas de volonté. Ils manquent souvent de filtres, de freins internes, de sécurité émotionnelle dans l’instant.
Leur comportement n’est pas un message contre l’adulte. C’est un signal de détresse.
Un signal que leur cerveau n’arrive plus à traiter correctement l’environnement. Et plus on répond à ce signal par la punition, l’humiliation, le rejet ou la pression sociale, plus le système nerveux s’emballe.
À l’inverse, plus on répond avec de la structure, du cadre (ferme mais bienveillant), de la prévisibilité, de l’explication, du soutien et du respect des particularités, plus l’enfant apprend à se réguler.
Et puis il faut le dire clairement : ce ne sont pas seulement les comportements de ces enfants qui posent problème. C’est surtout le regard que la société porte sur eux.
Une société qui tolère mal la différence, les débordements, les rythmes atypiques, l’émotion brute. Une société qui valorise l’enfant sage, discret, conforme, rapide, performant. Tout ce qui déborde devient suspect. Tout ce qui sort du cadre devient gênant. Et ce sont toujours les mêmes enfants qui en paient le prix.
Ces enfants ne sont pas « trop ». Ils sont souvent trop seuls avec ce qui les traverse. Ils ne sont pas « pénibles ». Ils sont souvent débordés de l’intérieur. Ils ne manquent pas de règles. Ils manquent surtout de compréhension de leur fonctionnement et de cadres qui respectent leur neurodiversité.
Conclusion
Quand un enfant TDAH, HP ou hypersensible réagit de manière jugée « inappropriée » dans une situation quelconque, ce n’est pas la preuve d’un échec éducatif, ni celle d’un manque d’efforts.
C’est l’expression visible d’un cerveau qui essaie de survivre à une surcharge qu’il ne sait pas encore réguler.
Derrière chaque comportement dérangeant, il y a une tentative d’adaptation.
Derrière chaque débordement, il y a un besoin de sécurité. Et derrière chaque enfant « difficile », il y a un enfant qui aimerait, lui aussi, être simplement invité, choisi, accepté.
Comprendre cela ne rend pas le quotidien plus facile. Mais cela le rend plus juste. Et parfois, c’est déjà ce qui change tout.