13/11/2025
L'origine des secrets de famille ne réside pas uniquement dans la malveillance de quelques-uns.
Les mobiles des protagonistes sont complexes. Parfois liés au pouvoir, à la manipulation, à la jouissance et à la volonté de protéger ses propres intérêts, ils peuvent traduire un désir profond de prendre soin de l'autre, ou de la famille en général, voire tout simplement une impossibilité de parler.
Mais tout cela n'est que la partie visible de l'iceberg.
Les tendances à dissimuler et à maquiller les choses sont le plus souvent au service de motivations inconscientes. Celles-ci échappent totalement à leurs détenteurs, car eux-mêmes sont soumis à des mécanismes qui les dépassent, dont ils ignorent les enjeux. Même lorsqu'il s'agit en apparence de confort ou de facilité, la raison d'être du secret est souvent d'une autre nature.
Il donne à celui qui le met en place l'illusion de la toute-puissance, l' exonère et le débarrasse de toute responsabilité. Il offre la possibilité de remodeler le réel à l'infini, de créer sa propre image, retouchant ce qui désavantage, ce qui n'est pas conforme à ce qu'il veut montrer. Grâce à lui nous découvrons le contrôle que nous pouvons exercer sur notre vie et celle des autres.
Véritable baume des narcissismes défaillants, des personnalités en échec, de tous ceux et celles qui n'ont pas pu ou n'ont pas su être à la hauteur de leurs espérances, ou de celles de leur famille, le secret est l'ultime recours vers une vie meilleure.
Car il existe toujours, tapi dans l'ombre, la peur du regard de l'autre, du jugement de la société, de la discrimination.
On ne cache que pour plaire, que pour entretenir un malentendu ayant trait à sa véritable essence. Il y a bien quelque chose à gagner à entretenir cette confusion, quelque chose qu'il serait inconcevable de perdre. Aussi préfère-t-on
souvent renoncer à être pleinement soi-même.
De quels processus mystérieux et inconnus est-il question ?
Quand, comment et pourquoi se trouvent-ils activés ?
Y sommes-nous tous vulnérables de la même façon ?
Dans le cas contraire, quelles sont les conditions qui les favorisent ?Quelles sont les dynamiques psychiques qui permettent au secret de se mettre en place ?
L'homme est-il naturellement porté vers le mensonge, la trahison, la manipulation ? La complexité et l'ambivalence de la nature humaine peuvent-elles justifier ces tendances ?
Ou s'agit- il de mécanismes plus profonds, subtils et moins accessibles à la conscience ?
Il faut plonger au cœur même de la psyché afin de saisir toutes les nuances du jeu subtil entre la lumière et l'ombre, entre conscient et inconscient.
L'un des apports majeurs du XXe siècle, est la psychanalyse jungienne, qui explicite le rapport entre les différentes instances du psychisme.
Cette conception du fonctionnement humain nous vient du grand psychanalyste suisse Carl Gustav Jung.
Pour nous immerger dans les rouages du secret de famille, il faut comprendre un de ses concepts majeurs :
L'ombre, découverte fondamentale dans sa tentative d'exploration de l'être humain.
NAISSANCE DE L'OMBRE.
Pour Jung, L'homme s'inscrit dès la naissance dans un processus de développement inné et irréversible, régi par le " Soi". Il s'agira pour chacun d'entre nous d'aller vers l'intégration de la totalité qui le constitue, en devenant un être de plus en plus " individué".
Individuation : actualisation de l'inconscient en vue de la réalisation du Soi.
Il existe au plus profond de l'individu une aspiration à la réunification des différentes facettes qui le compose et à ce que les jungles nomment la " conjonction des opposés".
Ce mouvement intérieur est, pour la plupart d'entre nous, inconscient et inconnu, mais n'en œuvre pas moins de façon autonome et irréductible.
Or, l'enfant grandit en oblitérant certaines parties de lui-même pour être conforme à ce qu'attendent ces parents, ou pour s'intégrer plus facilement au sein de son milieu familial.
Toutes les tendances qui ne peuvent être intégrées au Moi conscient, vont être dans un premier temps, refoulées dans l'inconscient, constituant ce que Jung nomme l'ombre.
Celle-ci est composée des caractéristiques que nous possédons sans le savoir, et que nous ne pouvons nous approprier.
Notre identité se construit petit à petit, en occultant ce qui n'est pas compatible avec ce que nous souhaitons devenir selon nos critères et nos valeurs, personnelles et familiales.
Beaucoup d'entre nous pensent que la vie serait plus facile s'ils pouvaient être à l'image de ce dont ils rêvent : toujours de bonne humeur, dévoué, gentil, civilisé, intelligent, juste...pour d'autres, il suffirait de pouvoir garder le contrôle en toutes circonstances, amuser tout le monde, avoir de la répartie, briller en société.
Chacun d'entre-nous souhaite se plaire, entretenir avec lui-même une relation harmonieuse et se défaire de tout ce qui peut contribuer à ternir l'image idéale du Moi.
Notre regard sur nous-mêmes se limite souvent à embrasser nos traits de caractères dominants, nos comportements familiers, quelques défauts inopportuns mais acceptables pour peu qu'on en fasse pas l'étalage. Le reste nous est étranger.
Pourtant combien de fois sommes-nous au prise avec des sentiments gênants, des voix que nous préférerions ne jamais entendre, des pulsions embarrassantes?
L'ennemi intérieur rôde au détour de nos états d'âme, de nos relations, notre vie sociale, nous frôlant dangereusement.
Jalousie, violence, cruauté, passivité, égocentrisme, paresse, etc, Sont autant d'états condamnables dans une société où la réussite se mesure au bien-être, à la maîtrise, la bienséance, dussent-ils n'être qu'apparents.
Cette mise au rebut de certains éléments de notre personnalité peut concerner une foule de sentiments, de comportements, de tendance.
Elle nous touche dans tous les domaines , de notre apparence physique à nos ressentis intérieurs, nos pensées, notre façon d'entrer en contact avec les autres.
Mais il s'agit toujours de ce qui est insupportable à vivre et impossible à assumer face au monde extérieur. Il ne s'agit pas que de caractéristiques négatives, de défauts. Quelquefois cela concerne des dons, talents particuliers, que nous ne pouvons exprimer, car ils n'ont jamais eu droit de cité dans la famille.
LES MANIFESTATIONS DE L'OMBRE.
Une fois refoulées, ces caractéristiques ne disparaissent pas.
Elles vont chercher à se manifester, en nous et autour de nous, de manière à ce que nous puissions en prendre conscience.
Et nous les approprier. Elles ressurgissent de façon inopinée, chez les PERSONNES QUE NOUS RENCONTRONS, sous la forme de symptômes corporels, ou encore à l'occasion d'événements particuliers, parfois désagréables, profondément significatifs.
C'est ce que l'on appelle le phénomène de PROJECTION : des contenus inconscients qui nous appartiennent deviennent visibles sous une forme extérieure, comme les images d'un film sur un écran de cinéma.
De la même façon, il existe une ombre transgénérationnelle, réservoir de comportements qui ne sont pas compatibles avec les valeurs de la famille et qui sont destinés à hanter la psyché familiale, de génération en génération, cherchant eux aussi à se faire connaître.
Dès lors, le roman familial va se construire autour de ce qui se fait ou ne se fait pas.
Si l'on privilégie telle ou telle façon d'être, d'autres sont littéralement bannies, exactement comme sur le plan individuel.
Elles réapparaissent sous les traits de tendances compulsives, ou de symptômes bizarres, poussant un des membres de la famille à mettre en actes ce qui a été mis à l'écart, au risque d'être exclu, de passer pour le " vilain petit canard ", ou le bouc émissaire.
Celui-ci sera l'unique réceptacle des
" impuretés" du groupe, et de fait, profondément exposé et vulnérable, à la honte et la culpabilité.
Ainsi se perpétue le cercle vicieux :
La honte mobilise de puissants mécanismes de défense dont le plus courant est de passer les choses sous silence.
La famille continue de vivre comme si tout allait bien. Sauvegarder les apparences, ne montrer que le versant positif des choses deviennent des nécessités absolues.
Chacun plonge dans le mensonge et efface l'objet du délit. Le secret s'installe et envahit l'atmosphère.