06/02/2023
QUAND LE PLUS VIEIL ARBRE TOMBE...
Ce matin, mon bon vieux Gilbert, le doyen de ma famille s'est éteint du haut de ses 102 ans. "Et demi !" revendiquerait-il !
Avec 80 ans de mariage au compteur avec son épouse Andrée partie il y a un an, Gilbert était encore bien valide, il avait toute sa tête, on pouvait encore rire et s'émouvoir de tout ensemble. Je l'ai toujours connu âgé, comme s'il n'allait jamais mourir. On en faisait des blagues : "Mais Gilbert, c'est toi qui va tous nous enterrer !"
Ce matin, il a eu la chance de quitter notre monde en toute simplicité, depuis chez lui. Le vieil arbre est mort. Je ne peux que souhaiter une même fin à tout humain sur cette terre.
Ce soir, j'ai une pensée tout singulière pour ce que nous avons eu la chance d'échanger. Avec son âge avancé, c'était surtout à moi, plus mobile et moins disponible d'aller vers lui.
Alors je me repasse en mémoire ce que j'ai pris le temps de partager avec lui ces derniers mois, ces dernières années. Quelques visites, quelques appels, quelques lettres manuscrites, des confidences aux yeux humides et des embrassades tremblantes.
Je mesure aussi ce que j’ai manqué, par manque d'organisation, d'anticipation, faute de conscience du peu de temps qu'il nous restait.
"Pas le temps aujourd'hui, je le ferai demain." Comme s'il n'allait jamais mourir. Mais, ce soir, la sentence fait mal : il n'y aura plus de "demain". Quand le vieil arbre est tombé, il est trop t**d pour monter dans ses branches pour écouter les oiseaux chanter.
Je n'ai pas pour habitude de m'appesantir sur ce qui fait mal, mais là, je me sens convié à regarder en face un conflit intérieur récurrent. Celui entre L'URGENT et L'IMPORTANT.
Au quotidien, il y toujours plein d'urgences : des rendez-vous à honorer, des choses à faire, d'autres à ne pas oublier, ça remplit nos journées. Les urgences rythment nos vies, elles sont prenantes, souvent pertinentes et en tout cas, elles avalent notre temps.
Et puis, à côté de ça, il y a l'important, beaucoup moins prenant, mais tout aussi pertinent. Des choix de vie à regarder en face, des pauses à prendre pour se retrouver, des proches à aimer...
À cet endroit, je nous souhaite d'avoir du discernement et du courage !
Et si cet aprem, je faisais un détour pour aller bavarder dix minutes avec mon voisin ? Et si ce soir, au lieu de faire ma compta, j'envoyais une lettre manuscrite à une vieille amie ? Et si ce weekend, au lieu de trainer sur internet, on allait marcher en forêt ?
Peut-être qu'on pourrait voir que le vieil arbre va bientôt tomber.
Ce soir, je pleure nos coeurs d'humains assaillis de peurs de gêner, de notifications et de todolist. Je pleure notre inertie qui se trouve ébranlée quand la réalité de la vie nous ratrappe.
Le temps passe, la vie passe et ce qu'on aime s'éloigne petit à petit.
Nos anciens, nos forêts, nos liens avec tout ce qui vit.
Ce soir, Gilbert me rappelle que tout ce qu'on croit éternel ne l'est pas. Nos amis partiront un jour, nos amours s'éteindront un jour, notre souffle s'arrêtera un jour.
C'est dur de regarder ça en face, alors faisons-le ensemble ! Soutenons-nous à cet endroit ! Se rappeler que la vie est courte et fragile pour que ce qui fait mal aujourd'hui, devienne demain une force qui nous invite à délaisser momentanément l'urgent pour rechoisir l'important.
Pour Gilbert, pour tous mes anciens déjà partis, pour mes amis et amours perdus de vue, pour les espèces animales et végétales disparues, pour tout ce qui est magnifique et mortel, je suis désolé d'avoir manqué de présence pour prendre soin et surtout merci d'avoir été là.
Puissions-nous ouvrir les yeux sur ce qui fleurit, sur ce qui est là maintenant, sur ce qui demande de l'attention, du soin, de la présence.
Ma fille Madeline et Gilbert ont exactement 100 ans d'écart. Madeline me rappelle qu'autour du vieil arbre à terre, de nouveaux germes poussent... Saurai-je honorer cet enseignement ?
Je me le souhaite, je vous le souhaite.
Haut les coeurs !
Mouts