06/12/2025
Violences sexuelles, trop souvent banalisées…
Il existe une zone de l’emprise dont on ne parle presque jamais.
Pas par pudeur.
Pas par tabou.
Mais parce que la victime elle-même ne la reconnaît pas.
C’est une zone trouble, silencieuse, enfouie, où le corps agit pendant que la conscience dort encore.
Une zone où l’on croit consentir alors qu’on cède.
Une zone où l’on croit que « c’est normal », parce que tout le reste ne l’est plus.
Cette zone, c’est celle de la sexualité sous emprise.
Ce qui s’y joue est d’une violence particulière, car elle se déroule dans l’intimité.
Dans la nuit.
Dans la fatigue.
Dans la vulnérabilité.
Elle s’accomplit dans ces moments où l’identité est la plus fragile,
où le corps ne proteste plus,
où la frontière entre soi et l’autre devient diffusée.
C’est ici que commence la captation du corps.
Pas l’agression au sens où la loi l’entend.
Quelque chose de plus insidieux :
la prise de contrôle de l’accès à l’intimité,
l’usage du sexe comme outil d’emprise,
comme rappel de possession.
Au début, elle ne voit rien.
Il vient se coucher contre elle, t**d, trop t**d.
Elle dort.
Elle se retourne.
Elle n’a pas envie.
Elle ne comprend pas très bien.
La nuit, l’esprit est trouble, les limites sont molles.
Il insiste.
Il murmure, respire plus fort, se colle davantage.
Il la touche, puis recommence, puis insiste encore.
Elle dit non, faiblement, presque sans voix, comme on dit non à travers un rêve.
Mais il continue.
Et alors quelque chose se passe en elle :
elle renonce.
Pas par désir.
Par fatigue.
Par lassitude.
Par habitude.
Parce qu’elle sait ce qui l’attend si elle refuse.
Car après le refus, il y aura le reproche.
Le silence.
La punition.
La semaine entière de regards froids, de phrases acérées, de micro-mépris.
Une semaine où elle devra se racheter.
Une semaine où elle marchera plus doucement, respirera plus petit, pour reconquérir un semblant de paix.
Alors elle cède.
Elle se dit : « Ça ira plus vite si je ne lutte pas. »
Et elle s’invisibilise dans son propre corps.
Et le pire, c’est que parfois, elle croit que c’est normal.
Parce qu’elle a fini par croire que c’est cela, l’amour.
Parce que tout s’est installé tellement lentement qu’elle n’a pas vu la frontière glisser.
Parce qu’elle confond désir et excitation réflexe.
cette réaction purement physiologique qui peut survenir même quand l’âme hurle non.
Elle se dit :
« Au début, je n’ai pas envie… mais après, un peu, finalement… »
Elle pense que ce petit réveil du corps signifie quelque chose.
Alors qu’il ne signifie rien.
C’est une réaction automatique du système nerveux.
Et elle construit sur cette confusion une explication qui la condamne :
« Donc ce n’était pas vraiment une violence. »
« Donc ce n’était pas grave. »
« Donc c’est moi qui dramatise. »
La dissociation fait le reste.
Elle est là sans être là.
Elle laisse faire pour que ça s’arrête.
Son corps s’exécute, son esprit se retire.
Elle disparaît un instant pour survivre.
Les années passent, et la sexualité devient un terrain miné.
Ce n’est plus un lieu de rencontre.
Ce n’est plus un lieu de désir.
C’est un devoir.
Un rituel.
Un passage obligé pour maintenir la paix.
Le corps n’est plus un lieu intime :
il est un espace de propriété.
Une ressource.
Un territoire où l’autre vient puiser sa puissance,
sa confirmation,
sa domination.
Elle se retrouve à fonctionner selon une règle tacite :
si je refuse, je perds la paix ;
si j’accepte, je me perds.
Les deux options sont des violences.
Elle choisit la moins dangereuse sur le moment.
Elle choisit celle qui fait disparaître la tension.
Elle choisit celle qui éteint la menace.
Elle choisit celle qui lui permet de dormir.
Mais elle ne choisit plus elle.
Et c’est là que naît la violence la plus méconnue : la sexualité sous contrainte affective.
Pas de cris.
Pas de force.
Pas de menace directe.
Juste une mécanique implacable :
si elle dit non, il se venge psychiquement.
Si elle dit oui, il se sert.
Le choix est faussé, donc ce n’est pas un choix.
Ce n’est pas du consentement.
C’est de la survie.
Longtemps, elle ne mettra pas de mots.
Elle dira :
« Il est insistant. »
« Il ne comprend pas. »
« Il a un fort besoin sexuel. »
« C’est comme ça, c’est son tempérament. »
« Je ne dois pas exagérer. »
« Ce n’est pas vraiment une agression. »
« J’aurais dû dire non plus fermement. »
Elle ne saura pas encore que ce discours-là
, le discours qui minimise,
est précisément la marque de l’emprise.
Elle ne verra pas que le sexe est devenu un moyen de garder son corps sous contrôle.
Elle ne verra pas que l’épuisement nocturne est une stratégie inconsciente du PN.
Elle ne verra pas que ses nuits blanches sont un outil de modelage psychique.
Elle ne verra pas que son intimité a cessé de lui appartenir.
Parce qu’on ne voit pas ce qu’on vit comme une normalité.
Et puis un jour, très loin du passé, parfois quinze ans plus loin, elle comprend.
Parfois, cela arrive dans une discussion banale.
Parfois en écoutant une autre femme raconter une histoire qui ressemble à la sienne.
Parfois en thérapie, lorsqu’une phrase la traverse comme une déflagration :
« Ce que vous décrivez…
ce sont des violences sexuelles. »
Et là, le monde se fissure.
Non pas d’un coup, mais comme une paroi intérieure qui craque sous la pression de toutes les années accumulées.
Comme si chaque nuit forcée revenait soudain dans son corps pour réclamer d’être vue.
Elle comprend que ce qu’elle a vécu n’était pas de l’amour.
Ni du désir.
Ni du partage.
Ni même du couple.
Elle comprend que son corps n’était plus à elle.
Qu’elle avait été utilisée.
Que sa fatigue avait été exploitée.
Que sa vulnérabilité avait été instrumentalisée.
Qu’elle avait été possédée dans le sens le plus littéral du terme.
Elle comprend.
Et elle tombe.
Et elle se relève
Le moment où, à travers tes mots,
des femmes vont comprendre
ce qu’elles n’ont jamais osé penser.
Elles vont mettre un nom sur des années de confusion.
Elles vont reconnaître un mécanisme qu’elles croyaient unique.
Elles vont comprendre qu’elles ne sont pas folles,
qu’elles ne sont pas faibles,
qu’elles ne sont pas responsables.
Elles vont comprendre qu’elles ont été violées doucement.
Insidieusement.
Chimiquement.
Psychiquement.
Par fatigue.
Par peur.
Par conditionnement.
Et qu’elles ont le droit, enfin,
de se réapproprier leur corps.