10/05/2020
DEMAIN?
Je suis psychologue et formatrice, notamment dans le domaine de la parentalité et de l'éducation. Je suis aussi maman imparfaite et confinée. Et c’est en tant que tout ça que j’écris. Cela fait des jours et des jours que "je tourne ma plume dans ma poche"...
Cette période est compliquée. Elle a aussi, la spécificité de mettre nombreux professionnels de la santé mentale, de l'éducation et de l'enfance en conflit entre leur regard de professionnel et leur regard de parent. Cela arrive parfois, mais je l'ai rarement vécu aussi intensément, et surtout pas en même temps en moi et dans les échanges avec d'autres pros. Je suis d'habitude discrète sur les réseaux sociaux. Je n'aime pas exposer ma vie ou mes opinions à des personnes que je peux avoir en formation ou en consultation. Et, mes proches le savent, Facebook, ça n’est pas trop mon monde…
Bref, aujourd'hui, j’ai quand même envie de parler de demain. Demain, et les jours suivants, des enfants par milliers reprendront le chemin de la crèche, de l'école, du collège…
Je sais que nombre d'entre eux le souhaitent. Retrouver les copains/ines, le (la) maitre(sse), un espace de liberté en dehors de la maison, en dehors de la famille
Nombre de parents aspirent aussi à retrouver un rythme qui leur convient mieux. Soyons honnêtes, nous n'avons pas les compétences de leurs enseignants et pas forcément l'envie de leur avouer à quel point cela date, la dernière fois qu'on a dû faire ce genre d'exercice. Alors, oui la division par 32 je peux la faire mais te l’expliquer… euh… le tout en essayant de garder un semblant d’activité professionnel, et de survivre psychiquement à des triples journées ?
Ah.... D’habitude cette rentrée des classe, ce moment, on l’attend avec hâte ou angoisse… oui sauf que… cette rentrée n'est pas une rentrée ordinaire.. Les enfants et les enseignants, les tous petits et les équipes petite enfance ne seront pas dans une dynamique ordinaire. Les parents non plus.
Quel poids fait-on peser sur les épaules de ces enfants. Eux à qui on a d’abord dit, à demi mot ou ouvertement, qu'on les renvoyait chez eux parce qu'ils représentaient un danger pour les plus âgés et les plus fragiles. Eux à qui on laisse maintenant sous-entendre que par leur faute, les parents ont arrêté de travailler et que l'économie du pays est en danger. Comme si cette idée prenait sens pour eux, si ce n'est un « c’est de ta faute » lourd de conséquences. D’ailleurs, dans la tête de certains enfants, c’est tellement de leur faute qu’on a dû mettre des parents en arrêt maladie pour s’occuper d’eux.
Eux qui ont vu leurs parents se transformer avec plus ou moins de talents et d’enthousiasme, en enseignants amateurs. Eux qui ont parfois vu l'ambiance familiale se dégrader pendant ces drôles de vacances, sans nécessairement comprendre que derrière ces cris, ces larmes, ces colères, parfois ces violences, il y avait aussi la peur des adultes, leur difficulté à se retrouver tous h24 à la maison,... et que tout ça n’est pas une question d’amour.
Que de culpabilité sur de si jeunes épaules.
Et voilà que maintenant , on les renvoie à l'école (ceux qui ne sont pas capables de se garder tous seuls, et non leurs aînés qui il y a quelques mois devaient pourtant tant travailler pour préparer des examens si importants pour leur avenir et si difficiles, là encore comment comprendre… eux qui y vont malgré cette immense tâche rouge sur la carte qui dit que l’ainé déjà collégien doit rester à la maison parce que c’est dangereux… d’ailleurs papa et maman aussi, on leur dit que s’ils peuvent télétravailler encore ça serait bien pour leur sécurité).
L'école, la crèche, d'habitude, les enfants, c'est leur monde. ils y vivent parfois leurs seuls moments entre enfants, … ils y jouent, ils y vivent des aventures drôles ou tristes, ils se construisent en tant qu'êtres sociaux...
Et voilà qu'après des semaines de vie confinés, on les envoie à l’extérieur (mais si, ils questionnent de nouveau,
: papa maman peuvent continuer le télétravail, c'est mieux parce que quand même faut pas rigoler avec les choses sérieuses). On leur propose un univers dangereux, transformé, aseptisée, un carré au sol sans contact, sans liberté, avec des adultes tout aussi stressés qu'eux par ces semaines difficiles. Et que se passera t il dans les familles où la seconde vague touchera un papy ou une mamie, là encore quelle culpabilité pour ces enfants.
Et pour ces tous petits, pour qui le non verbal et le contact physique est si important, quel sens cela prend-il, des adultes masqués, stressés, parfumés au gel hydroalcoolique ? Qui vont devoir passer tant de temps à tout contrôler, pour des enfants trop jeunes pour ne pas tout toucher et pour porter un masque. Ces enfants dont les parents ne pourront plus rentrer avec eux, alors que depuis des années ces professionnels accueillent les parents, ils coéduquent, ils font des transitions en douceur pour le bien être psychologique des enfants. Ils basculent dans un univers où s'enchaînent les douces violences. Pas le choix, on leur dit, mais pas pour autant facile à vivre.
Et ces enseignants, qu’on a d’abord projetés dans le monde du télé enseignement sans y être préparés, et qui se trouvent maintenant projetés dans un monde de protocole, de sentiment de responsabilité sur l'éducation mais aussi sur la santé , la vie, des enfants, et au delà de cela sur les familles, la leur et celle des enfants. Ces ATSEM qui vont devoir consoler et rassurer... mais à distance. Ces AVS… Ces adultes qui vont constamment devoir rappeler aux enfants que non ils ne doivent pas vivre une vie normale, quel poids aussi pour eux. Voilà qu’on leur demande maintenant de sauver les enfants des inégalités sociales (le grand yaka), de rattraper le re**rd accumulé (yaka, la suite), mais enfin, Oui non en fait, ça finalement c’est secondaire, ils doivent maintenant se muter en psys pour que les enfants puissent parler de leur ressenti…
Et ces parents, quel tourbillon dans leur tête aussi. Mitigés? soulagés? effrayés? En colère? Conscients que leur enfant devra bien y retourner un jour, mais peut-être pas comme ça, en urgence, quand les maires ne cessent de répéter que les écoles ne sont pas prêtes (et dont la peur d’être responsables laissent soupçonner des failles peu rassurantes). Conscients aussi que leurs enfants souffrent tout comme eux de cette vie cloîtrée, que tout ça c’est dur, que les revenus baissent aussi, mais que quand même le corona tue…
Pour eux aussi, une culpabilisation suprême, venue du haut : ne sont-ils pas trop incompétents pour éduquer leurs enfants? Et si cette continuité pédagogique n’était pas juste trop leur demander? Fallait-il rajouter du stress au stress? Bien sûr, il y a des enfants avec qui ça roule. Et il y a les autres. Les enfants pour qui apprendre, c’est dur, pour qui la maison ne peut pas remplacer l’école, et dont les parents oscillent entre conflits permanents et abandon de la « continuité pédagogique », pour la survie de la famille. Mille mercis à tous les enseignants et dirigeants d’établissements qui officiellement ou en coulisse, l’ont compris et ont apaisé les choses en disant que si l'enfant n’apprend pas comme à l’école, il apprend d’autres choses à la maison et que pour les apprentissages scolaires, cela s’équilibrera en temps voulu, quand la scolarité reprendra… ne vous entretuez pas pour un COD...
Alors, oui, bien sûr, il y a des enjeux économiques. Je ne suis pas dupe, vous non plus. Certains sont déjà touchés durement. D'autres le seront. Là aussi, une seconde vague est attendue et cela fera des dégâts. Cela va ête dur...
Mais qu'on arrête de se cacher derrière une « urgence sociale » pour légitimer un contexte anxiogène, psychologiquement tout aussi violent que le précédent, ni propice aux apprentissages, ni à la socialisation… et qu’on nous dise clairement que si on ouvre les crèches et les écoles dans ces conditions, mais pas les niveaux au delà, c’est bien avant tout pour des enjeux économiques...