24/10/2022
JOIE
Face à l’ambiance d’apocalypse actuelle qui nous est imposée, j’ai envie d’évoquer une émotion qui peut répondre, la Joie.
Selon Spinoza la joie est le passage de l’homme d’une moindre à une plus grande perfection. C’est à dire un accroissement de la « puissance » ou plutôt de la conscience, de la réalisation de soi, du ressenti d’appartenance à un principe de vie. Bergson y voit la marque d’un accomplissement, d’une réussite, d’un achèvement, celui de toucher au sens de l’existence et sans doute de la vie. L’être qui ne connait pas de sens ou d’horizon s’expose à l’angoisse, à la question existentielle, à l’inquiétude d’être. L’objet prime alors sur le sujet et l’existence remplace la vie. C’est là je crois, la clé de la souffrance dans nos sociétés actuelles. L’horizon qui nous est proposé et vers lequel nous tendons, n’est plus l’être mais le faire et l’avoir.
En M.T.C. (Médecine Traditionnelle Chinoise), la Joie est associée au coeur. Ce n’est pas le coeur de l’amour, dont il s’agit ici, c’est le coeur de la conscience, du flux incessant de la vie qui circule en nous et de son expression indéfinissable qui explose dans le rire d’un enfant. Il n’y a pas d’intention dans la Joie, il n’y a pas de satisfaction, quelle qu’elle soit. Tout ceci n’est qu’illusion et désir et plaisir. Tout ceci n’est que satisfaction des sens dont le caractère éphémère conduit à la frustration et au manque.
Avec la joie, nous sommes à un autre niveau de la conscience, bien loin du Moi existentiel. Nous sommes au niveau d’un pur état d’être dont le Soi est l’essence et l’acteur central. La joie manifeste l’acceptation de ce que l’on incarne, la confiance absolue dans le principe de vie, la croyance sans limite dans le fait que l’on participe à un projet somptueux qui s’appelle la Vie. A l‘inverse des désirs et des plaisirs, il n’y a pas de lutte ou de compétition dans la Joie. C’est ce qui fait qu’elle se partage sans intention et sans restriction et fait qu’elle contamine tous ceux qui la côtoient. En cela la Joie est proprement indéfinissable et pourtant tellement puissante. Elle seule déchire la grisaille des époques que nous traversons. Elle est quasi mystique, en ce sens et proche du propos de Saint François d’Assise dans ce qu’il qualifie de « Joie parfaite ». Elle est une émotion de l’âme.
La joie s’associe à deux termes, la confiance et la puissance. Ce ne sont pas là des termes marquant de la force ou de l’innocence. Il s’agit des deux ingrédients qui sont nécessaires à la Joie. Il s’agit d’une confiance sans limite dans le principe de vie et d’une puissance ressentie du fait de participer à ce principe de vie. Il ne s’agit pas de termes qui se comprennent en lien avec un objet mais avec un sujet. Il n’est pas question ici d’atteindre un but ou un résultat. Il s’agit de ressentir et d’accueillir en nous, sans intention ni jugement, la puissance de la vie. Il s’agit de la laisser s’exprimer en nous et de savoir au plus profond de nous que son propos est toujours favorable et destiné au meilleur. Et ce, même lorsque nous ne le comprenons pas.
C’est en cela que la Joie se partage, sans que l’on en perde pourtant la moindre parcelle. Elle est infinie et inépuisable. Il en est comme avec le soleil. La chaleur de ses rayons nous réchauffe personnellement, et ce sans préjudice aucun pour tous ceux qui s’y exposent en même temps. Il n’y a pas ici de notions de quantité ou de comparaison, qui sont les ingrédients du doute et de la peur. Nous sommes dans l’omnipotence du principe de vie.
Et c’est ici que se trouve la difficulté pour nombre d’entre nous: comment atteindre à la Joie. La Joie ne se travaille pas, elle ne se muscle pas, elle ne s’achète pas, elle ne s’invente pas. Elle se pratique, elle s’accepte et s’accueille de la plus inconditionnelle des façons. Elle est cet horizon que j’évoquais, vers lequel on tend, elle est un regard qui cherche la lumière en permanence et une conscience qui sait que même si cette lumière n’est pas visible, elle est là. Elle est une exigence au meilleur et à l’inébranlable confiance dans ce qu’est le principe de vie. Elle dépasse les épreuves. Elle est l’humilité face à ce qui cherche à se réaliser à travers nous. La Joie est une émotion « verticale », c’est à dire qui tire vers le haut. Nos corps nous le disent sans ambiguité, puisque la Joie active le coeur, la circulation du sang et de la vie, fait monter la chaleur en nous et dilate, c’est à dire « ouvre » tout en nous et en particulier le Coeur.