30/10/2025
« Cinquante ans pour un premier regard : l’histoire de Sophie, née sous X »
Une jeune femme — que nous appellerons Sophie — est venue me rencontrer au début de l’année.
Sa première phrase fut :
« Je ne sais pas si vous pouvez m’aider… »
Après quelques minutes d’échange, elle m’explique qu’elle est née sous X en janvier 1969 et qu’elle recherche ses origines.
Je lui demande quelles démarches elle a déjà entreprises.
Elle me répond qu’elle a contacté le CNAOP, qui l’a orientée vers une référente de l’ASE. Cette dernière, bienveillante, avait consulté son dossier aux archives départementales. Malheureusement, aucun courrier n’y figurait. Sa mère n’avait laissé aucune trace ni levé le secret de son identité.
La référente lui avait également confié qu’à la fin des années 1960, beaucoup de dossiers d’enfants nés sous X étaient incomplets, parfois même expurgés.
Mais une surprise attendait Sophie :
« Contrairement à ce qui est inscrit sur ma carte d’identité, je ne suis pas née dans la ville indiquée, mais dans une autre, du même département ! »
Les seules informations fiables dont elle disposait étaient que sa mère s’appelait Yolande et qu’elle avait 17 ans au moment de l’accouchement.
— C’est un début, lui ai-je dit. Nous avons un prénom, un âge et une période de naissance. C’est déjà une piste.
Les premières pistes ADN
Déçue par le silence des archives, Sophie décide alors de faire un test ADN.
Quelques semaines plus t**d, elle m’appelle :
« Mon ADN révèle des origines bretonnes, italiennes et françaises ! Mais je n’ai trouvé aucun parent proche, seulement six cousins plus ou moins éloignés parmi des milliers de correspondances… Que dois-je faire ? »
Je lui explique que nous allons partir de ces cousins ADN pour identifier leurs ancêtres communs et localiser leurs familles. Très vite, en analysant leurs arbres généalogiques, un schéma se dessine :
tous sont issus de trois communes voisines, distantes d’à peine quarante kilomètres.
Sophie en reste sans voix.
« Je ne suis jamais allée là-bas », murmure-t-elle.
La méthode généalogique
Je lui explique alors la méthode :
« Vous partagez des segments d’ADN avec plusieurs cousins qui ont un arrière-grand-parent commun. Si nous reconstituons les branches descendantes de ces familles, nous finirons par croiser le chemin de votre mère. »
— Et si je trouve une Yolande née à la bonne date, ce sera elle ?
— Exactement. Et son âge confirmera notre hypothèse.
Nous choisissons alors la correspondance la plus proche, un certain Paul, et remontons jusqu’à ses huit arrière-grands-parents.
Pour chacun d’eux, nous recherchons leurs enfants, leurs éventuels remariages et surtout leurs actes de succession, car ces documents énumèrent souvent tous les enfants — légitimes ou naturels.
Sophie, à la fois fascinée et incrédule, me dit :
« Donc, si on explore les descendants de ces familles, je finirai par trouver ma mère ? »
— Oui, et probablement votre père aussi.
La découverte
Après des semaines de recherches minutieuses dans les archives, tables décennales et actes de successions, je la revois enfin.
« Nous avons trouvé quelque chose d’important », lui dis-je.
Parmi les descendants de ces familles, un Jean attire mon attention : dans son acte de succession, figure une Yolande, désignée comme enfant naturelle.
« Elle avait 17 ans en 1969 », précisé-je.
« Cela pourrait être ma mère ? »
— Oui. Tous les indices convergent : le prénom, l’âge, le lieu, et votre ADN.
Je lui apprends aussi que nous avons retrouvé l’adresse de cette Yolande, celle de l’époque de la succession.
Après plusieurs recoupements et quelques vérifications supplémentaires, j’obtiens enfin son adresse actuelle — à seulement 25 kilomètres du domicile de Sophie.
La rencontre
Le lendemain, je l’appelle :
« Sophie, je crois que nous y sommes. »
Elle me répond, la voix tremblante :
« Vous êtes sûr que c’est elle ? »
— L’ADN, la généalogie, le prénom et l’âge : c’est un faisceau de présomptions très solide.
Nous décidons de nous rendre ensemble chez Yolande. Sur la route, Sophie m’interroge :
« Que dois-je lui dire ? »
— Soyez naturelle. Dites simplement : “Bonjour, je m’appelle Sophie. Je pense que nous pourrions avoir un lien familial…” Et laissez-lui le temps de comprendre.
Arrivées devant la maison, la voiture de Yolande est dans l’allée. Sophie hésite, respire profondément, puis me dit :
« Allez, je me lance. »
Je la regarde s’éloigner, le cœur serré, espérant que cette rencontre changera sa vie.
Épilogue heureux
Une heure plus t**d, Sophie revient me voir, rayonnante.
Ses yeux pétillent d’une lumière nouvelle.
« Je l’ai vue. Elle m’a reconnue tout de suite », me dit-elle en souriant.
« Elle a d’abord eu peur, puis elle a fondu en larmes. Nous avons parlé pendant des heures. Elle ne m’avait jamais oubliée… Elle pensait que je la détesterais. »
Yolande lui a raconté son histoire : une jeune fille de 17 ans, effrayée, poussée à accoucher sous X par une famille stricte, convaincue qu’elle n’aurait pas d’autre choix.
Elles se sont revues plusieurs fois depuis, ont partagé des souvenirs, des photos, et même un repas avec les enfants de Yolande.
Sophie m’a confié avant de partir :
« J’ai mis cinquante ans à la retrouver. Aujourd’hui, je sais d’où je viens. J’ai retrouvé ma mère… une part de moi-même et en plus j'ai un frère et 2 soeurs... »
Et dans ses yeux brillait la paix d’une vie enfin réconciliée avec son histoire.
Eric Ganzin Généalogiste