26/09/2025
Complètement enragé !
La rage est-elle vraiment une si mauvaise chose ? Voici comment la canaliser efficacement.
Traduction d'un texte de Sam Parker — pour Air Mail, The Times et The Sunday Times.
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"Pendant des années, je me réveillais avec la mâchoire douloureuse, comme si quelqu’un m’avait frappé en plein visage. Le diagnostic : bruxisme. Autrement dit, des grincements de dents incontrôlables, le plus souvent la nuit. Selon le NHS, les causes principales sont le stress et l’anxiété. Environ 10 % de la population en souffre. Pour la plupart, ce n’est qu’une gêne. Chez moi, c’était si violent que mon dentiste m’a prescrit un protège-dents de joueur de rugby pour dormir. Sinon, j’étais certain de perdre mes dents avant 40 ans.
Le pire est arrivé un matin au travail : je croque dans une baguette et une de mes incisives se casse net. Résultat : un dentier pendant six mois. J’avais sauté d’un coup de 40 à 80 ans. Même après avoir fait refaire ma dent, le grincement continuait.
Tout a changé le jour où j’ai commencé une thérapie. J’y allais pour mon anxiété mais, au lieu d’en parler, je me suis retrouvé à toucher quelque chose de plus profond : une colère enfouie. Colère contre les gens, contre le monde, contre mon passé. En quelques semaines, en mettant en mots cette colère avec mon analyste, le bruxisme a cessé. Puis mes agitations nerveuses. Mes épaules se sont dénouées, mon corps entier s’est détendu. Comme si tout mon être s’était crispé pendant des années pour contenir cette rage.
Quand nous nous imaginons une personne avec des problèmes de "gestion de la colère", on peut se représenter un homme en train d'hurler derrière le volant de sa voiture, au bord de la crise cardiaque. Mais qu’en est-il des autres ? Ceux qui retiennent tout, qui préfèrent plaire, éviter les conflits, garder la paix en s’oubliant eux-mêmes ?
Eux payent souvent un prix plus lourd. Dès l’enfance, apprendre qu’exprimer sa colère est « interdit » augmente notre taux de cortisol, abîmant notre système immunitaire. La colère réprimée est liée à des maladies auto-immunes, à des inflammations chroniques, à des douleurs articulaires.
Pourquoi est-ce si difficile de reconnaître cette colère en nous ? Pendant des siècles, la colère a été vue comme un péché, un piège, une erreur à éviter. Et aujourd’hui encore, beaucoup de personnes grandissent dans des foyers où le conflit n’est jamais résolu de façon saine et où la colère aboutit à de l’agression ou même à de la violence. On apprend que la colère doit être évitée à tout prix.
Mais, en réalité, lorsqu’elle est utilisée de manière constructive — ni en la laissant nous faire perdre notre sang-froid, ni en la ravalant au fond de nous — la colère peut être utile et saine. Elle nous alerte sur des problèmes qui doivent être résolus, elle empêche que l’on profite de nous. Dans l’instant, elle peut être ressentie comme juste et bonne et, sur le long terme, elle peut améliorer nos vies. En plus de sauver ce qui restait de mes molaires, utiliser correctement la colère m’a aidé à progresser dans ma carrière en me rendant moins évitant du conflit ; elle a amélioré mes relations en me donnant un aperçu de mes besoins émotionnels ; elle a réduit mon anxiété et amélioré mon sommeil. Cela a demandé beaucoup de temps et de pratique, mais j’ai appris à voir la colère comme un atout.
Le psychanalyste Carl Jung considérait que, lorsque les premières expériences nous enseignent que la colère est dangereuse ou inutile, elle est repoussée dans nos « ombres », et se retrouve à éclater soudainement dans des moments qui nous choquent. Si cela vous ressemble, vous devez d’abord cesser de penser à la colère comme honteuse et plutôt la voir comme une réponse neutre et légitime à certaines situations. Souvent — comme dans mon cas — vous pouvez confondre la colère avec des sentiments d’anxiété. Si quelqu’un ou quelque chose vous rend excessivement triste ou inquiet, essayez de vous demander : « Et si j’étais en colère à la place, pourquoi le serais-je ? » Écrire les raisons que vous avez de vous sentir en colère peut aider.
Canaliser la colère dans une activité physique peut également la requalifier comme une émotion utile. Pour moi, la boxe est devenue une manière d’essayer l’agressivité : plus je frappais le sac, plus j’étais capable de trouver ma rage intérieure (et de la traverser). Mais il ne s’agit pas seulement des sports de combat — j’ai interviewé des personnes qui disaient la même chose pour les longues courses ou la danse.
Et pourquoi ne pas s'adresser directement aux personnes qui vous mettent en colère ? La colère est une émotion sociale qui naît souvent des relations. En conséquence, elle est mieux traitée par la communication avec les autres. Une excellente manière de devenir plus à l’aise avec la confrontation est de commencer à dire calmement aux autres : « Je me sens en colère en ce moment », tout comme vous admettriez vous sentir triste, stressé ou affamé. Avant d’entamer une conversation difficile, vous pouvez étendre cela en disant : « Je me sens en colère en ce moment, donc il est possible que je ne m’exprime pas aussi clairement que je le voudrais. » Cela s’appelle « la mise en garde de l’inconfort ». Cela tend à mettre les gens de votre côté et peut aider à transformer des disputes houleuses en discussions constructives. Peu de choses font mieux que d’exprimer calmement sa colère, que quelqu’un la reconnaisse, puis de convenir ensemble d’une nouvelle voie à suivre.
Loin d’être grossière ou négative, la colère est l’une des émotions les plus complexes, importantes et utiles que nous ressentons et, comme je l’ai découvert, il n’est jamais trop t**d pour changer votre relation avec elle. Le faire pourrait bien améliorer votre vie. Ou au moins vous éviter quelques factures dentaires."