10/10/2025
Honte et culpabilité : que disent-elles de nous ?
Un discours qu’on entend souvent en cabinet, c’est celui de la honte ou de la culpabilité.
Cette semaine encore, une patiente me confiait : « Cela fait quinze ans… et je culpabilise encore. »
Elle parlait d’une infidélité ancienne, reconnue, assumée, pardonnée même. Et pourtant, la culpabilité restait là, comme une ombre.
Nous avons alors parlé de cette différence subtile, mais essentielle :
celle entre une culpabilité aiguë, qui aide à réfléchir et à réparer, et une culpabilité chronique, qui finit par se transformer en honte.
Honte et culpabilité, deux émotions proches… mais différentes
La culpabilité parle d’un acte :
« J’ai fait quelque chose que je regrette. »
La honte, elle, parle de l’identité :
« Je suis quelqu’un de mauvais. »
La première ouvre vers la réparation.
La seconde enferme dans une identité figée.
C’est tout le paradoxe : on peut reconnaître un acte sans s’y réduire. Mais quand la honte prend le dessus, elle colonise le récit : elle efface tout le reste, les efforts, les intentions, les pas de côté.
Oui mais parfois … la culpabilité devient honte
La culpabilité, à l’origine, mobilise.
Elle permet de réfléchir, de réparer, de se relier à ses valeurs.
Mais parfois, elle s’installe. Elle devient chronique, intériorisée, jusqu’à se transformer en identité.
On ne se sent plus coupable d’un acte, on devient « quelqu’un qui culpabilise ».
Alors, elle cesse de parler de ce qu’on a fait pour parler de qui l’on est.
Et à cet endroit, elle rejoint la honte.
Ce n’est plus une émotion morale, c’est un rôle appris, souvent renforcé par le regard des autres, par des années de reproches ou de doutes.
La culpabilité, quand elle se fige, finit par nourrir le même enfermement que la honte : celui de croire qu’on est défini par ses erreurs.
Attention ! On parle ici de responsabilité, pas d’excuse
Reconnaître la possibilité du changement ne revient pas à excuser ce qui a été fait.
Cela signifie rendre à la personne sa part de responsabilité vivante : celle qui lui permet d’agir autrement, pas de se justifier.
Figer quelqu’un dans l’identité « d’agresseur », de « coupable », ou de « mauvais » peut sembler une façon de poser des limites, mais c’est aussi une manière de le déresponsabiliser.
Car si « je suis mauvais », alors « je ne peux pas faire autrement ».
Le travail thérapeutique, lui, ne cherche pas à absoudre.
Il cherche à désidentifier : à séparer la personne de son acte, non pour le nier, mais pour permettre qu’il soit reconnu, compris, réparé, et surtout, non répété.
Dans ce processus, la honte empêche de voir le sens du changement, alors que la responsabilité permet d’en faire quelque chose.
Et ce mouvement-là (humble, lucide, incarné) n’enlève rien à la souffrance de ceux qui ont été blessés.
Il rappelle seulement que reconnaître sa faute n’a de valeur que si cela ouvre la voie à un autre récit, plus juste, plus conscient, plus digne.
Le regard narratif
En thérapie narrative, on distingue l’histoire dominante (celle de la faute, du manquement, du « je suis comme ça ») … et les histoires alternatives, qui parlent de courage, de responsabilité, de mouvement.
On ne se définit plus seulement par ce qu’on a fait.
On commence à se relier à ce qu’on fait maintenant : reconnaître, comprendre, réparer, avancer.
Et c’est souvent là que se joue la bascule : quand la honte et la culpabilité cèdent un peu de place au sens.
Piste de réflexion
Il y a des culpabilités qui passent, et d’autres qui s’installent.
Celles qui, des années plus t**d, continuent de nous dire : « Tu n’as pas le droit d’aller bien. »
Ce ne sont plus des émotions morales, mais des récits identitaires.
Elles ne parlent plus de ce qu’on a fait, mais de ce qu’on croit être devenu. Et c’est là que la honte prend le relais.
Changer, c’est parfois déjà commencer à se pardonner. Et à réécrire son histoire autrement.
Ce n’est pas nier ses fautes,
c’est cesser d’y rester enfermé.