20/11/2022
[Tranche de vie]
Ma fille vient de naître… Elle est petite, très petite. Elle n’est pas beaucoup plus lourde qu’une bouteille d’eau et pas tellement plus grande qu’une poupée.
« Mais c’est une crevette ! » me lance l’obstétricien de garde après m’avoir coupé le ventre en deux. Je m’en fiche moi que ce soit une crevette. C’est MA crevette, elle est magnifique et je l’aime déjà.
Les jours passent. Une nuit, ma propre petite voix de psy susurre à mon cerveau ramolli une bien mauvaise idée : « Mais au fait, t'es-tu renseignée sur l’impact à long terme du petit poids de naissance ? Les facteurs de risque, toussa toussa ? ». BIM.
Pourquoi n'y avais-je pas pensé avant ?
En pleine nuit, me voilà alors plongée, la tête baissée et le cerveau au garde à vous, dans les études scientifiques pour m’informer sur les impacts potentiels d'une hypotrophie sur le long terme.
A ce moment précis, je maudis mon métier.
Anxiété oblige, ce que je lis m'effraie...
Voilà que mon cœur se met à battre la chamade et mes jambes à flageller, comme si le sol se dérobait sous mes pieds.
C’est la nuit.
Ni une, ni deux, je file voir la puéricultrice du service de néonat' à la porte à côté, dans lequel dort paisiblement ma minuscule fille reliée à son énorme machine.
La jeune femme écoute mes peurs, me rassure, me soutient (les puéricultrices sont des trésors de bienveillance, vous l'ai-je déjà dit ?).
Ma fille est là, devant nous : elle est vaillante, battante et tellement, tellement belle.
La nuit passe.
Au petit matin, changement d’ambiance : mon obstétricien entre dans ma chambre… sans frapper. Sans gêne. Sans respect.
« Ben alors, on m’a dit que vous étiez inquiète ? » me lance-t-il avec l'air infantilisant d’un patriarche suffisant.
Je lui indique que mes inquiétudes découlent de mes lectures scientifiques sur le sujet, et que j'ai désormais et surtout besoin d'être rassurée.
C'est alors que cet homme en blouse blanche me sort une phrase qui continue de me turlupiner trois ans plus t**d :
« N’essayez pas de comprendre ces recherches, vous n’y arriverez pas. Ce que je vous demande, c’est juste d’être une… VACHE A LAIT ».
Silence gêné.
Lui ai-je répondu que j’étais en cours de doctorat sur le nouveau-né et que j’étais probablement plus compétente que lui pour comprendre ces études ?
Lui ai-je répondu que son mépris misogyne me dégoûtait et qu’avoir un un doctorat, une blouse blanche et un pénis ne lui octroyaient pas la liberté d’être dégradant ?
Non. Bien sûr que non. Comment aurai-je pu ? J'étais une femme, en post-partum, en pyjama, le ventre coupé en deux, effrayée et des cernes plein les yeux.
Je me suis contentée de hocher mécaniquement la tête, comme l'aurait fait un enfant face à un adulte autoritaire.
Son audace avait eu raison de moi : j'étais soumise.
PS : bien entendu, mon objectif ici n'est pas de caricaturer les professionnels de santé et de déclarer que l'ensemble des médecins hommes sont des salauds et que l'ensemble des puéricultrices sont des anges. Mon but est de faire état d'une tranche de vie et de rappeler la violence psychologique que l'on peut subir, en tant que patient, dans l'univers du soin.